Jeanne Gohier, on voit de plus en plus de solutions pour compenser nos émissions de carbone : des moteurs de recherche pour planter des arbres, des compagnies aériennes qui proposent de « compenser » son billet en payant une somme supplémentaire, des projets de reforestation développés par les entreprises … Mais qu’est-ce que cette compensation carbone ?
Oui en effet la compensation carbone est omniprésente, mais elle n’est pas forcément très bien comprise ni très bien appliquée.
Le principe est simple : une personne ou une entité va compenser les quantités de gaz à effet de serre qu’elle émet en finançant un projet de réduction ou de séquestration de la même quantité de gaz à effet de serre, près de chez soi ou à un autre endroit de la planète. Evidemment, cela suppose de connaître ses émissions de gaz à effet de serre, son empreinte carbone, et de connaître la capacité de réduction du projet auquel on s’intéresse. En termes simples, si on émet 10 tonnes de CO2, on recherche un projet capable de capter 10 tonnes de CO2 et on aura bien compensé nos émissions, 10 - 10 étant évidemment égal à zéro !
La compensation carbone volontaire s’adresse tout particulièrement aux entités qui ne sont soumises à aucune contrainte sur leurs émissions : les particuliers, les petites entreprises ou les collectivités locales. Certaines grandes entreprises participent également à des programmes de compensation volontaire parce qu’ils souhaitent aller au-delà des efforts de réduction auxquels ils sont contraints.
Ne suffit-il pas de réduire nos émissions au lieu de les compenser ?
C’est un effort complémentaire et non substituable : nous devons à la fois réduire au maximum nos émissions, et compenser celles que nous ne pouvons pas réduire. Certains secteurs ont besoin de compenser leurs émissions, car même en les réduisant ils n’arriveront pas à toutes les éliminer. Je pense par exemple à tout le secteur aérien ou aux secteurs utilisant des produits issus du pétrole, et qui n’ont pas réussi à trouver d’alternative plus viable. Attention cependant à une communication abusive sur la compensation : une attitude durable passe forcément par une réduction de ses émissions.
Quels types de projets peuvent servir à compenser nos émissions ?
Il y a trois types de projets : le forestier, les énergies renouvelables et l’amélioration de l’efficacité énergétique. Les plus communs concernent le boisement ou la reforestation. Il s’agit de faire pousser des arbres qui absorbent le CO2. Inutile de vous dire que ces projets doivent être suivis dans le temps pour être crédibles. Par ailleurs, certains ne sont pas réalistes. Ainsi, si l’on additionne les projets de reforestation des compagnies pétrolières et des compagnies aériennes, il faudrait reboiser intégralement des pays européens entiers !
Les projets portant sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables sont aussi très importants. On peut notamment penser à des projets, grands et petits, dans des pays émergents qui n’ont pas toujours l’argent et le savoir-faire dans ces domaines. Remplacer ou améliorer la performance des fours à bois pour diminuer leurs effets nocifs et limiter l’utilisation de charbon, contribuer au financement de centrales solaires vous donnent une idée de ce qui est réalisable.
Ce système de compensation est-il vraiment efficace ?
Il y a bien sûr quelques règles à respecter, car comme je l’ai dit, on peut en abuser assez facilement. L’agence de la transition écologique en France, l’ADEME, l’explique très bien dans sa documentation. Il faut d’abord faire un bilan complet de ses émissions, et ne jamais substituer nos efforts de réduction par de la compensation. Ensuite il faut privilégier les projets labellisés, par exemple ceux du Label bas-carbone, développé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, ou le Gold Standard de la fondation WWF. Il faut aussi avoir conscience que planter un arbre prendra des années avant de compenser ses émissions à la date d’achat du crédit carbone. Or dans un monde où il devient urgent de couper le robinet carbone, cette différence dans le temps a son importance.
Enfin il faut essayer d’équilibrer les projets dans lesquels nous investissons : il faut soutenir les projets locaux, pour participer aux efforts de réduction nationaux et européens, mais ne pas oublier les pays en voie de développement pour faciliter une croissance durable. Par exemple, soutenir la construction et le développement de biodigesteurs domestiques au Cambodge, ou des cuisinières eau bois plus performantes et moins dangereuses pour la santé au Rwanda
Et bien sûr faire attention aux mots que l’on emploie…
Oui, parce que la compensation est un terme qu’il faut manipuler avec précaution. Pour conclure, le financement de projets bas-carbone doit être considéré comme une contribution supplémentaire à nos efforts de réduction, et il est important de rester transparent sur l’impact de nos émissions…pour une entreprise, cela vaut bien mieux, car la transparence donne tout de suite plus de confiance à un investisseur.
Jeanne Gohier au micro de Cécile Dauguet
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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