Jeanne Gohier, vous revenez aujourd’hui sur la question de l’hydrogène, l’Europe investit beaucoup pour produire de l’hydrogène de manière propre et peu coûteuse. Pourquoi autant d’efforts ?
Parce que la technologie est potentiellement révolutionnaire et répond à de nombreux défis auxquels notre système énergétique fait face aujourd’hui : en scindant une molécule de dihydrogène en deux, cela libère de l’énergie et pas de gaz à effet de serre nocif, juste de la vapeur d’eau. Certes, c’est un gaz à effet de serre mais ça n’est pas un moteur du réchauffement climatique parce qu’elle reste très peu dans l’atmosphère. Par ailleurs le dihydrogène n’est pas une source d’énergie en soi, mais c’est un moyen de stockage d’énergie qui apporte de la flexibilité au réseau électrique lorsque les énergies renouvelables ne produisent pas assez d’électricité à un instant donné.
Elle apporte des solutions à de nombreux problèmes en effet ! Et quels sont les montants européens des investissements dans la filière hydrogène ?
L’Union européenne a donc estimé qu’il faudrait investir entre 180 et 470 milliards d’euros d’ici 2050 pour développer la filière d’hydrogène bas-carbone, soit 6 à 15 milliards d’euros par an en moyenne. Derrière ces sommes qui semblent colossales, un enjeu de souveraineté énergétique pour produire et distribuer de l’hydrogène « propre », à partir d’électrolyseurs et de piles à combusible, en arrêtant la production d’hydrogène issu de ressources fossiles. Cet hydrogène servirait beaucoup pour la mobilité lourde, qui aujourd’hui est difficile à électrifier. Par ailleurs il faut développer un réseau de distribution : 23000 km de réseau selon un groupe de 11 sociétés européennes d’infrastructures gazières.
L’Union européenne est-elle en avance dans la filière ?
Oui elle est leader dans ce secteur, avec par exemple l’entreprise française Air Liquide, un des plus gros producteurs mondiaux en dihydrogène. Nous avions parlé l’année dernière de l’enjeu d’autonomie énergétique derrière l’hydrogène, je crois que ces 4 derniers mois ont exacerbé toute l’importance de la souveraineté européenne en ce qui concerne l’approvisionnement énergétique. En plus de souveraineté, l’hydrogène offre beaucoup de flexibilité : si je prends le cas de la France, où le réseau va être très tendu l’hiver prochain parce que beaucoup de réacteurs nucléaires sont à l’arrêt aujourd’hui, l’hydrogène bas-carbone pourrait être produit au moment où le réseau est moins tendu, et viendrait combler les besoins en cas de pénurie et à la place de centrales à charbon ou de gaz.
Quelles entreprises européennes se mobilisent pour l’hydrogène ?
Je dois commencer par évoquer les start-ups, qui cherchent des solutions innovantes pour développer la filière. Mais les grands acteurs industriels lancent aussi des initiatives : un collectif de 30 industriels de l’énergie ont lancé un consortium nommé HyDeal pour lancer une grande filière d’hydrogène vert. Il est produit par électrolyse à partir d’énergie solaire de la péninsule ibérique, au prix des énergies fossiles : cela équivaut à 1,5€ par kilogramme d’hydrogène.
De grandes sociétés françaises sont aussi en première ligne : Air Liquide, développe des solutions pour le stockage d’énergie, Engie est en train d’investir massivement dans la production d’hydrogène propre. Renault et PSA développent des gammes de voitures à hydrogènes, Michelin a en partie racheté un constructeur de piles à combustibles, qui servent pour l’alimentation des voitures à hydrogène.
Et la finance, dans tout cela ? Quel rôle a-t-elle à jouer ?
Certaines sociétés financent des startups, cela permet de soutenir la recherche et l’innovation. Et puis il faut bien sûr soutenir les grandes sociétés qui se mettent en transition : en consacrant une partie importante de leur budget à la technologie de l’hydrogène, les entreprises envoient un signe positif aux investisseurs : elles innovent dans des technologies bas-carbone, ce qu’il faut encourager !
Jeanne Gohier au micro de Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européen·nes Climate Action 100 d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici