Jeanne Gohier, il y a quelques mois vous aviez parlé du concept de la finance verte, vous expliquiez que le mouvement de l’investissement responsable, et notamment l’investissement bas-carbone, était en plein essor, pas forcément pour des raisons altruistes. Est-ce toujours le cas ?
Le mouvement bat son plein si j’ose dire, au moins dans les chiffres donnés par la GSIA, une plateforme de collaboration mondiale pour l’investissement responsable, c’est un adjectif qui englobe plus de choses que « finance verte » : en 2020, presque 36% des investissements mondiaux étaient considérés comme responsables.
C’est un chiffre qui semble énorme : est-on loin de l’éco blanchiment ou greenwashing… ?
Evidemment il est à prendre avec des pincettes, parce que la notion de « responsable » englobe une multitude de définitions et de visions, ce qui engendre de la confusion et un consensus très difficile à obtenir entre investisseurs, ONG, pouvoirs publics, consommateurs… De manière volontaire ou non, des investisseurs vont faire la promotion de leur durabilité alors que leurs pratiques montrent l’exact contraire. Et cet écoblanchiment, je le répète parfois volontaire, parfois involontaire est nourri par ce manque de clarté dans les définitions légales des appellations que les investisseurs donnent à leurs fonds.
Qu’est-ce qui peut expliquer ce manque de consensus sur ce qu’est un produit durable ?
En premier lieu, le mouvement est allé très vite, il est lié à une demande très forte des épargnants pour des produits financiers plus durables et à une régulation de plus en plus forte pour flécher les investissements en faveur de la transition écologique. Ensuite, la notion de durabilité est extrêmement large, elle englobe des sujets comme la lutte contre la pollution aux particules fines jusqu’à la lutte contre la corruption au sein d’un conseil d’administration. Et il faut être réaliste : on ne peut pas intégrer toutes les problématiques de manière très stricte dans un même produit financier, sinon on n’a plus aucun investissement. Donc ce qui me semble durable, ne l’est pas forcément pour mon voisin. Cela vaut pour deux investisseurs, mais aussi pour deux pays, il n’y a qu’à regarder les débats entre la France et l’Allemagne sur la question du nucléaire et du gaz naturel !
Mais finalement si tout le monde se met à devenir durable, même en ayant des visions différentes de la notion de durabilité, est-ce que ce n’est pas mieux que de ne rien faire du tout ?
Je vous l’accorde mais j’identifie deux gros risques : le premier c’est que la transition se fasse de manière désordonnée et inefficace si chacun y va de sa propre définition de ce qui est vert. Or il y a urgence à agir et il faut avancer dans la même direction de manière coordonnée. La deuxième c’est que cela ne responsabilise personne et alimente les tensions entre investisseurs et ONG. Les ONG vont, et à raison, pointer les pratiques de greenwashing, les investisseurs, et on ne peut pas leur en vouloir se réfugient derrière le manque de clarté dans la législation. Dans tout cela, un manque de connaissances des investisseurs sur le changement climatique et les enjeux de la transition ajoute encore plus de confusion.
Selon vous ce n’est donc pas un manque de volonté mais un manque de régulation qui est la source du problème ?
Au moins un retard de la régulation pour définir ce dont on parle lorsqu’on évoque un fond « durable », un fond « vert », un fond « bas-carbone », un fond « de transition ». La législation européenne est en train de rattraper ce retard, mais reste malgré tout assez floue, donc le problème n’est pas tout à fait résolu. Mais attention je ne dis pas que les investisseurs sont tout rose non plus : pour beaucoup de grandes entreprises financières, les fonds « durables » ne représentent qu’une petite minorité des investissements mais ce sont ceux qui sont le plus mis en avant. Il ne faut pas oublier que la durabilité est aujourd’hui une action commerciale et donc profitable pour la plupart des investisseurs.
Donc pour résumer, plus de législation pour le « durable », le « vert » ou le « bas-carbone » et la finance pourra devenir vraiment responsable ?
De la législation mais aussi du contrôle. Un investisseur pourra être parfaitement clair sur ses pratiques d’investissements, sans risque d’écoblanchiment. Une harmonisation des définitions permet aussi de mettre tout le monde d’accord sur la performance environnementale ou sociale des entreprises et donc de favoriser les investissements vers les meilleures et d’accélérer la transition écologique ! C’est tout l’objectif de la taxonomie européenne pour l’aspect environnemental des investissements.
Jeanne Gohier au micro de Cécile Dauguet
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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