Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous parlons de la transition bas-carbone, qui ne concerne pas seulement le secteur de l’énergie, vous nous parlez aujourd’hui du ciment. Pourquoi est-ce un secteur qui a besoin d’être décarboné ?
Le ciment c’est évidemment un matériau essentiel aujourd’hui dans les secteurs du bâtiment et des travaux publics, y compris pour les éoliennes d’ailleurs. Le ciment est l’élément principal pour fabriquer du béton, qui est le matériau de base pour la plupart des constructions dans le monde entier. Et effectivement, la production de ciment émet beaucoup de CO2, principalement à cause de la fabrication de clinker, son composant principal. On l’obtient en faisant chauffer un mélange de calcaire et d’argile à 1450°C avec des énergies fossiles, notamment le charbon. Une réaction chimique a lieu lors de la cuisson, ce qui libère du CO2. Il y a donc deux sources d’émissions de gaz à effet de serre : les énergies fossiles qui servent à faire chauffer les fours, et qui sont difficiles à substituer, et le CO2 qui se dégage lors de la fabrication du clinker.
Alors justement, quelles sont les niveaux d’émissions de l’industrie cimentière ?
Les émissions de cette industrie dépendent de la demande mondiale en ciment, qui se situe à environ 4 milliards de tonnes par an. Ce faisant, l’industrie cimentière émet un peu plus de 2 milliards de tonnes équivalent CO2 par an, ce qui représente 5 à 6% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est un impact environnemental élevé, qui dépend très fortement de la demande en ciment. C’est un constat que pose l’ADEME : l’innovation technologique ne suffira pas à décarboner le secteur, il faut diminuer la demande, c’est-à-dire diminuer la construction d’infrastructures et de bâtiments neufs. Certaines solutions existent, comme le recyclage du béton ou l’utilisation du bois comme produit de substitution, mais elles restent marginales et incertaines. Le ciment est un matériau peu substituable et difficile à recycler. La demande en ciment sera donc difficile à diminuer.
Est-ce qu’il y a quand même de la place pour l’innovation technologique ?
Oui, il y a plusieurs innovations technologiques envisageables. Même s’il est pour l’instant impossible de substituer les énergies fossiles pour chauffer les fours, on devrait progressivement pouvoir introduire de la biomasse. On peut ensuite rénover les usines de production de ciment pour améliorer l’efficacité énergétique de la production : on fabrique alors du ciment en utilisant moins d’énergie.
Est-ce qu’il est aussi envisageable de fabriquer du ciment sans clinker, puisque c’est la source principale des émissions ?
C’est une alternative qui est envisagée mais la technologie n’est pas du tout mature à l’heure actuelle. On peut envisager de diminuer la quantité de clinker dans chaque tonne de ciment, en le substituant par d’autres composants, comme du laitier, un produit issu des hauts fourneaux qui servent à fabriquer la fonte, ou des cendres volantes. Par ailleurs, il existe une technologie de réduction des émissions qui est considérée comme essentielle par l’industrie : le captage et le stockage du carbone. Les cimentiers comptent beaucoup dessus pour diminuer leurs émissions. Nous avions parlé de cette technologie dans une chronique précédente : on capte et on purifie le CO2 issu des usines de production, puis on le transporte vers un lieu de stockage sous terre qui est imperméable : un ancien puits de pétrole ou de gaz par exemple.
Lorsque nous en avions parlé, vous nous expliquiez que ce procédé restait très cher, est-ce que c’est une solution viable pour l’industrie cimentière ?
A l’heure actuelle l’ADEME, qui vient de sortir un rapport sur le sujet, a estimé qu’il faudrait mobiliser un peu plus de 3 milliards d’euros pour décarboner l’industrie du ciment en France, et cela sans utiliser de captage et de stockage du carbone. Lorsque l’on ajoute cette dernière technologie, qui est essentielle pour décarboner le ciment, le coût de production augmenterait de 55% en moyenne. Le secteur financier sera donc un maillon essentiel de la chaîne pour financer la décarbonation de cette industrie, tout comme les politiques publiques sont capitales pour encourager l’innovation bas-carbone et réduire la demande en ciment.
Laurence Aubron - Jeanne Gohier
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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Photo : Rodolfo Quirós provenant de Pexels