Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous parlons aujourd’hui d’un sujet au cœur de l’actualité économique depuis quelques mois : la Commission européenne réforme le monde de la finance pour la rendre plus durable. Déjà pourquoi s’être attaqué à ce secteur ?
En 2018 la Commission européenne a souhaité orienter les investissements en faveur de la transition bas-carbone et a lancé un « plan d’action pour la finance durable ». En décembre 2019 elle est allée plus loin : pour atteindre la neutralité carbone en 2050, la Commission européenne a présenté le Green Deal, un plan qui s’attaque à tous les secteurs de l’économie. Pour le financer, 1000 milliards d’euros doivent être investis dans les 10 prochaines années. C’est très ambitieux, d’où la nécessité d’impliquer le secteur financier.
Alors quels sont les principes de cette réforme ?
L’Union européenne a voulu créer une cohérence d’ensemble pour viser la neutralité carbone. Elle a donc fixé des objectifs à atteindre pour tous les secteurs de l’économie. C’est aussi le cas pour le secteur financier : la Commission européenne a défini une « durabilité » des investissements. Je vous donne un exemple : si un investisseur place l’argent dans une entreprise qui se préoccupe du développement durable, qui va s’efforcer de diminuer ses impacts négatifs sur l’environnement ou sur la société, alors cet investissement sera considéré comme « durable ». Si au contraire l’investisseur soutient une entreprise qui ne se préoccupe pas du tout du développement durable, en polluant beaucoup par exemple et sans faire d’effort de réduction de son empreinte carbone, alors cet investissement ne sera pas considéré comme « durable ».
Mais alors comment faire pour investir « durable » ?
Pour aider les investisseurs à s’y retrouver, une des plus grandes initiatives a été de construire une taxonomie. C’est une classification des activités économiques qui ont un impact sur le climat. Pour chaque activité économique, la taxonomie définit dans quelle condition cette activité est durable ou non. Cela permet aux investisseurs de voir tout de suite si leurs investissements sont durables ou non. Je vous donne un exemple très simple : si vous souhaitez investir dans une entreprise automobile, elle sera jugée « durable », au sens de la taxonomie, si les émissions moyennes des véhicules de sa gamme sont en-dessous de 95g de CO2 au km.
Mais cela n’incite pas forcément les investisseurs à financer davantage les entreprises durables, il s’agit juste d’une classification ?
Oui c’est juste, et pour cela on compte sur l’appétit des épargnants, qui souhaitent de plus en plus placer leur argent dans des fonds responsables, c’est une tendance claire. Pour aider les épargnants, la Commission européenne a aussi renforcé les règles de transparence appliquées au secteur financier. Les fabricants de produits financiers doivent montrer qu’un fonds qui se dit « vert » l’est vraiment, sans greenwashing. De son côté le conseiller de l’épargnant sera bientôt tenu d’interroger son client sur sa connaissance et son appétit pour les produits durables et tenu de lui fournir des produits durables s’il le souhaite. Un épargnant doit aussi être informé des risques qu’il prend lorsqu’il place son argent dans un fonds non durable.
Est-ce qu’il y a justement beaucoup de fonds « verts » dans lesquels les épargnants peuvent placer leur argent ?
Oui beaucoup de fonds dits « verts », ou « responsables » se sont développés au cours de ces dernières années, d’ailleurs c’est en partie pour cela que la réglementation a été renforcée, car tous les fonds n’ont pas la même définition de l’investissement durable. Pour guider les épargnants, la Commission européenne a aussi développé un écolabel pour les produits financiers. Cela fonctionne exactement comme l’écolabel que vous retrouvez dans les produits ménagers ou pour vos meubles. Un fonds financier qui a l’écolabel garantira des investissements respectueux pour l’environnement. Cet écolabel pour les produits financiers devrait arriver d’ici un an ou deux.
Est-ce que cette réforme européenne va être efficace ?
Le chantier qu’a ouvert la Commission européenne est gigantesque, mais cela va pousser les investisseurs dans la bonne direction. Ils vont être plus au clair sur ce qu’est ou ce que n’est pas une activité durable. Les professionnels vont pouvoir fabriquer des produits financiers durables qui vont peut-être mieux correspondre aux attentes des citoyens européens, et puis étant soumis à plus de transparence, ils sont poussés à investir plus dans les entreprises les plus durables, ce qui va pousser leurs concurrents à s’engager eux aussi dans la diminution de leurs émissions carbone.
Il y a encore un long chemin à faire, mais c’est encourageant !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image par Nattanan Kanchanaprat de Pixabay