Nous discutons aujourd’hui des métaux et des terres dits rares et de leur rôle dans la transition énergétique et écologique : de quoi s’agit-il exactement et pourquoi les qualifie-t-on de « rares » ?
Les métaux rares jouent un rôle clé dans la transition. A part le lithium et quelques autres, ils ont des noms assez peu familiers : antimoine, tungstène ou iridium. De manière contre-intuitive, l’adjectif rare ne renvoie pas à une répartition très inégale de ces métaux sur Terre. Dans les faits, ils sont assez répandus. Cependant, à l’inverse des métaux qualifiés d’abondants, comme le zinc, le cuivre ou le fer, qui sont assez simples à extraire, les métaux rares sont très dispersés. Cela rend leur extraction beaucoup plus complexe : il y a très peu de sites à cause des difficultés d’exploitation.
Si je comprends bien, ils ne sont pas rares en théorie mais en pratique. Pourquoi sont-ils si importants ?
Parce qu’ils sont essentiels dans de nombreuses industries : pour les smartphones et les ordinateurs, le photovoltaïque, les semi-conducteurs, pour les véhicules électriques, les satellites ou l’aéronautique. La parcimonie des lieux de production les rend souvent critiques pour l’économie, celle de l’Union européenne notamment, parce qu’ils présentent un risque élevé de pénurie d’approvisionnement. Leur utilisation a augmenté en moyenne de 2,7% par an depuis 1970 et s’accélère avec la transition et le tout numérique : une voiture électrique contient entre 5 et 10kg de cobalt, tandis qu’un smartphone entre 5 à 10g. Toute l’industrie des métaux rares est exposée aux tensions géopolitiques.
C’est la Chine qui exporte la majeure partie des terres rares aujourd’hui, n’est-ce pas ?
Exactement, l’essentiel de la production des terres rares se trouve à Baotou en Chine intérieure où l’on trouve les gisements les plus importants. La réglementation environnementale et sanitaire demeure très souple et les dégâts sont importants. La Chine a actuellement un monopole très marqué sur certains métaux ce qui détériore la balance écologique mondiale et alimente des tensions géopolitiques.
Pourquoi y a-t-il des dégâts environnementaux importants ?
Le processus d’extraction et de purification est très énergivore et nécessite une grande quantité d’énergie et d’eau. Prenons l’exemple du lutécium, qui fait partie d’un sous-groupe des métaux rares que l’on appelle les terres rares. Pour en produire un kilogramme, il faut extraire et purifier 1200 tonnes de roches, cela revient à consommer l’équivalent de 64 piscines olympiques en eau.
C’est donc un lourd bilan énergétique ! Donc si je résume, il y a d’un côté le problème des tensions géopolitiques, et de l’autre un bilan environnemental potentiellement mauvais ?
Ce sont les deux principales problématiques, mais il est important de se rappeler que les capacités magnétiques exceptionnelles des terres rares en font un catalyseur technologique majeur pour nos industries dans la transition : le néodyme à la base des aimants permanents a contribué au développement de l’éolien offshore. Par ailleurs le bilan énergétique reste à la faveur des technologies de la transition par rapport aux technologies conventionnelles. Par exemple, même en prenant en compte l’extraction des terres rares, le bilan écologique reste meilleur pour une voiture électrique de taille moyenne par rapport à une voiture thermique.
Est-ce qu’il existe des alternatives technologiques aux terres rares ?
Oui, mais pas pour tous les produits d’usage. L’industrie automobile s’adapte à l’explosion de la demande d’électrique en favorisant le développement de batteries sans terres rares (lithium-ion), une technologie amenée à prendre le dessus sur le marché automobile. Attention cela n’enlève en rien, même aujourd'hui, à l’intérêt du développement des voitures électriques avec un moteur fabriqué avec des métaux rares ! Dans beaucoup d’autres domaines, ce sont des matériaux qui restent nécessaires.
Que peut-on faire pour limiter le bilan énergétique négatif des métaux rares ?
Une solution c’est de développer des mines sur le territoire européen, dans lesquelles l’encadrement environnemental et social sera strict. C’est ce que recommande le journaliste Guillaume Pitron, un expert dans le domaine. L’Union européenne cherche aussi à déployer de nouvelles filières de recyclage des terres rares après utilisation. Cela permettrait de limiter la dépendance européenne de la Chine pour les terres rares, qui est de 90% aujourd’hui. Il existe déjà des solutions au niveau individuel : allonger la durée de vie des smartphones ou des ordinateurs. Des entreprises comme Back Market développent des filières de reconditionnement des appareils, ce qui peut être un levier important en faveur de l’autonomie !
Quelques liens :
Jeanne Gohier au micro de Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image Planet Labs, Inc