ArcelorMittal, c’est ce producteur mondial d’acier qui a décidé d’investir en France pour décarboner deux sites industriels sur lesquels l’entreprise est implantée : Dunkerque et Fos-sur-Mer. Quelles sont les raisons derrière cette décision ? C’est une bonne nouvelle pour la transition bas-carbone ?
Avant d’expliquer les raisons derrière cette décision, on peut souligner comme vous l’avez dit que c’est une très bonne nouvelle, car les deux sites de Dunkerque et Fos-sur-Mer représentent 25% des émissions industrielles de gaz à effet de serre en France ! Autant dire que l’enjeu est grand. Cette annonce a été faite pour plusieurs raisons, la première est financière : certes, le groupe vient d’annoncer des bénéfices record pour l’année 2021, qui a vraiment été une année de reprise économique avec une demande très forte, ce qui a beaucoup augmenté la rentabilité de la matière première. Mais l’acier est une activité économique soumise au marché du carbone lorsque la production se fait en utilisant du charbon. Or le prix du carbone a tout simplement explosé depuis un an, passant de 38€ à 96€ la tonne début février 2022. Par ailleurs l’entreprise bénéficie d’aides financières de l’Etat français qui s’inscrivent dans le plan France Relance de 2030.
Donc il s’agit avant tout d’un enjeu de rentabilité financière pour le numéro 1 mondial de la production d’acier ?
Oui, très clairement. ArcelorMittal a investi 1,7 milliard d’euros en France, le montant de l’aide de l’Etat n’a pas été précisé, mais dans le plan France Relance, 5,6 milliards d’euros étaient promis pour aider la décarbonation de 3 secteurs : la sidérurgie, la chimie et le ciment. En France, cet investissement servira à diminuer les émissions industrielles de 10%, cela représente à peu près 2% des émissions totales du pays.
Alors parlons un peu de cette production d’acier : vous disiez qu’elle était faite en utilisant du charbon ?
C’est un des deux moyens de le produire. On peut produire l’acier avec du minerai de fer et du coke, un produit issu du charbon. On fait fondre le tout dans un haut fourneau à des températures très élevées, on obtient de la fonte, et puis après quelques étapes supplémentaires on obtient de l’acier. C’est aujourd’hui 70% de la production mondiale, et la production d’une tonne d’acier émet 2 tonnes de dioxyde de carbone. Le reste de l’acier est produit en recyclant de l’acier à très haute température, ce qui est très consommateur en énergie mais si celle-ci est propre, n’émet pas de gaz à effet de serre. Aujourd’hui la production d’acier représente environ 8% des émissions mondiales.
Et quelles pistes sont envisagées pour décarboner le secteur ?
D’autres moyens de production, moins polluants pour remplacer les hauts fourneaux. ArcelorMittal envisage plusieurs techniques : faire de l’acier à partir de charbon non pas extrait du sol, mais en transformant les déchets de bois en « biocharbon ». Une deuxième solution : capter le CO2 issu de la production et le réutiliser en le transformant en bioéthanol, on appelle cette technique le CCUS, un acronyme pour l’anglais « Carbon Capture and Storage ». Une autre solution : produire de l’acier non pas avec du coke issu du charbon, mais avec du dihydrogène, un projet est en cours de développement à Hambourg en Allemagne. L’objectif est de diminuer les émissions de gaz à effet de serre du groupe de 35% en Europe d’ici à 2030.
Cela baissera les émissions carbone, mais pas forcément la quantité d’énergie pour produire l’acier ?
En effet, il ne faut pas oublier que pour être produit, il faut chauffer toutes les matières premières à très haute température ! A Dunkerque par exemple, il est prévu de remplacer le haut fourneau existant par un four électrique et de l’acier fait à partir de minerai de fer réduit par du dihydrogène et non pas du charbon. Mais cela appelle à une consommation importante en électricité. Pour garantir la décarbonation du secteur, il faudra donc garantir une production d’électricité suffisante pour couvrir tous les besoins, tout en protégeant les entreprises d’une envolée des prix. Cela a d’ailleurs été le cas pour ArcelorMittal en 2021. On touche à la question ô combien importante dans la stratégie d’électrification de l’économie française et européenne : elle appelle à faire croître significativement la capacité de production d’électricité, alors que la situation est déjà délicate aujourd’hui.
Un dernier mot ?
Rappelons que l’acier est un matériau essentiel pour la transition bas-carbone : on en a vraiment besoin dans beaucoup de secteurs : l’éolien, le solaire, les batteries… La demande va augmenter si on s’inscrit dans un scénario de transition bas-carbone, la question de l’approvisionnement en électricité est un point clé pour assurer la pérennité du secteur.
Jeanne Gohier au micro de Cécile Dauguet
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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