Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Ca y est, les Etats-Unis ont rejoint l’accord de Paris, une promesse de campagne que Joe Biden a signée dès le premier jour où il est arrivé dans le Bureau ovale.
C’est un symbole fort Jeanne Gohier ?
C’est un symbole très fort et une bonne nouvelle pour le climat. Les Etats-Unis ont pris un retard important dans la diminution de leurs émissions et le développement d’énergies plus propres, puisqu’aucun effort n’a été fait lorsque Donald Trump était au pouvoir. Pire, même, les émissions ont empiré car l’ancien président a largement favorisé le développement des énergies fossiles dans le pays. Le ralliement à l’accord de Paris signé par Joe Biden marque une politique diamétralement opposée à celle de son prédécesseur. Beaucoup de questions restent en suspens à l’heure actuelle, sur l’étendue des mesures prises et leur efficacité.
Pourquoi est-ce si important que les Etats-Unis s’alignent sur les accords de Paris ?
Parce que les Etats-Unis représentent 15% des émissions mondiales, ils sont les deuxièmes plus gros pollueurs mondiaux. Le constat est pire en regardant les émissions de gaz à effet de serre par habitant : un américain émet en moyenne 16 tonnes d’équivalent CO2 par an, quand un citoyen français émet 5 tonnes par an et un citoyen chinois émet 6,7 tonnes annuelles. La consommation du pétrole est le problème principal, il représente 40% des émissions d’un américain en moyenne. Mais il y a aussi le gaz, et bien sûr le charbon pour produire de l’électricité. Afficher une volonté de décarboner l’énergie aux Etats-Unis est un message très fort envoyé par Joe Biden.
Qu’est-ce qu’a annoncé Joe Biden, et qu’a-t-il fait jusqu’à maintenant ?
Joe Biden a fait une série d’annonces le 27 janvier dernier. Il a notamment créé un nouveau ministère de la politique climatique pour coordonner l’ensemble des actions en faveur du climat. Il y a quelques mesures phare et symboliques : la volonté d’atteindre la neutralité carbone en 2050, et de décarboner le secteur de l’électricité d’ici 2035. Il a annoncé un sommet sur le climat en avril prochain sur le territoire américain, et arrêté le projet de l’oléoduc Keystone, qui devait transporter du pétrole depuis le Canada jusqu’au Golfe du Mexique pour y être raffiné.
Le président exprime aussi une volonté forte de concilier environnement et justice sociale : 40% des investissements pour le climat seront dirigés vers des communautés défavorisées, et le président américain entend créer de l’emploi grâce aux nouvelles infrastructures bas-carbone développées dans les prochaines années sur les terres contrôlées par le gouvernement fédéral.
Quel est le coût de toutes ces mesures ?
Les investissements publics s’élèvent à 1 700 milliards de dollars sur les 10 prochaines années. Joe Biden entend également impliquer le secteur privé et les investissements des différents états américains, pour un total d’investissement avoisinant les 5 000 milliards de dollars. C’est gigantesque, et extrêmement ambitieux. Le financement se fera en rétablissant les taxes sur les entreprises que Donald Trump avait supprimées. Le secteur privé donne quelques signes de suivi, par exemple General Motors a tout récemment annoncé qu’il ne produirait plus que des véhicules zéro carbone d’ici 2035.
C’est un chantier gigantesque et les Etats-Unis reviennent de loin, est-ce que toutes ces mesures sont réalistes ?
A l’heure actuelle, plusieurs questions persistent. D’abord, toutes les mesures de réduction des émissions carbone ne s’inscrivent pas vraiment dans un cadre global, parce que le gouvernement n’a pas établi de plan d’action détaillé pour s’aligner sur l’accord de Paris. Ce plan d’action devrait être publié dans les mois qui viennent. Ensuite, tout cela va prendre énormément de temps, notamment la décarbonation du secteur de l’électricité qui est encore produite à 61% par du charbon et du gaz. Tout cela avec un mandat présidentiel qui ne dure que 4 ans…
Quelle est l’efficacité des promesses faites par Joe Biden ?
C’est la grande question, car il y a de quoi être dubitatif sur l’efficacité de ces mesures car les Etats-Unis sont une république fédérale. Prenons l’exemple d’une mesure annoncée : Joe Biden a interdit l’octroi de nouveaux permis pour explorer des nouveaux puits de pétrole et de gaz sur les terres contrôlées par le gouvernement fédéral. Or ces terres ne forment que 28% de l’ensemble du territoire américain, et ce n’est pas là où se trouvent la majorité des régions pétrolifères et gazières américaines ! A l’image de la Californie, un état leader dans la transition bas-carbone, tous les états et le secteur privé doivent s’aligner sur ces mesures pour qu’un vrai changement s’opère.
Rappelons aussi que le pétrole et le gaz sont un moteur de l’économie américaine, qui exporte massivement depuis 2015 du gaz de schiste à la suite d’un décret signé par… Barack Obama ! Joe Biden a affirmé qu’il n’allait pas ralentir cette exportation dans les exploitations déjà existantes. Les producteurs de gaz et de pétroles ont donc peu de restrictions pour continuer leurs activités. Restons donc optimistes mais prudents face à cette nouvelle politique américaine !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image : Joint Congressional Committee on Inaugural Ceremonies, Public domain