Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Nous parlons aujourd’hui notre discussion autour de l’hydrogène. Vous nous aviez expliqué la semaine dernière que l’Europe investissait dans cette filière pour produire de l’hydrogène de manière propre et peu coûteuse. Concrètement, de combien parle-t-on ?
En effet je le disais, tout l’enjeu est de trouver des solutions pour produire de l’hydrogène en grandes quantités de manière propre et peu coûteuse. L’Union européenne a donc estimé qu’il faudrait investir entre 180 et 470 milliards d’euros d’ici 2050 pour développer la filière d’hydrogène bas-carbone. A plus court terme, la France accorde 2 milliards d’euros dans son plan de relance post-covid au développement de l’hydrogène, ce qui est conséquent.
Qu’est-ce qu’il faut financer exactement pour développer cette filière ?
Il faut non seulement investir pour la production propre de l’hydrogène, mais aussi pouvoir distribuer cet hydrogène, et produire de l’énergie à partir celui-ci. Il faut lancer la production à grande échelle de piles à combustible, et d’électrolyseurs peu coûteux. Pour la distribution, cela pourrait se faire avec des gazoducs rénovés et adaptés au dihydrogène. Un groupe de 11 sociétés européennes d’infrastructures gazières a écrit un rapport dans lequel il prévoit le développement de 23 000 km de réseau de gazoducs, à développer d’ici 2040.
Pourquoi l’Europe fait-elle le pari de l’hydrogène ?
Parce que l’Europe a une grosse carte à jouer dans cette filière : elle est leader dans le secteur de l’hydrogène, avec par exemple l’entreprise française Air Liquide, un des plus gros producteurs mondiaux en dihydrogène.
L’hydrogène offre aussi une meilleure autonomie énergétique à l’Europe. En remplaçant les énergies fossiles par de l’hydrogène produit en Europe, nous n’aurions pas à importer du pétrole et du charbon : nous aurions les ressources énergétiques que nous utilisons.
Ce sont des investissements énormes, est-ce qu’on n’est pas en train de négliger d’autres solutions plus efficaces et moins coûteuses ?
Il faut bien sûr procéder avec précaution, parce que cette technologie est encore incertaine, notamment à cause des coûts. Il ne faut pas mettre tous nos œufs dans le même panier : l’investissement pour l’hydrogène ne doit pas servir de substitut à d’autres solutions bas-carbone. Mais l’hydrogène c’est un excellent complément aux énergies renouvelables, qui offre de la flexibilité au réseau électrique ; il faut donc cibler l’investissement là où l’hydrogène vient proposer la seule solution à un problème.
A condition de produire de l’hydrogène sans énergie fossile… est-ce que le nucléaire pourrait être une solution ?
Oui, et surtout pour cette question d’indépendance énergétique. La comparaison entre la France et l’Allemagne est édifiante : l’Allemagne a pris la décision de sortir du nucléaire, et elle prévoit donc d’importer entre 10 et 18% de son énergie sous forme d’hydrogène décarboné de pays non européens. La France, elle, a fait le choix du nucléaire, ce qui offre une solution décarbonée de production d’hydrogène à grande échelle, et cela lui garantit une plus grande indépendance énergétique. Pour l’heure, l’Union européenne ne s’est pas encore prononcée sur le rôle du nucléaire dans la production d’hydrogène bas-carbone.
Quelles entreprises européennes se mobilisent pour l’hydrogène ?
Je dois commencer par évoquer les start-ups, qui cherchent des solutions innovantes pour développer la filière. Mais les grands acteurs industriels lancent aussi des initiatives : en juin dernier, 10 entreprises européennes, parmi lesquelles des leaders européens dans la production et la distribution d’électricité, comme Enel, Iberdrola, EDP ou Orsted, ont signé l’initiative « Choisir l’hydrogène renouvelable ».
De grandes sociétés françaises sont aussi en première ligne : Air Liquide, développe des solutions pour le stockage d’énergie, Engie est en train d’investir massivement dans la production d’hydrogène propre. Renault et PSA développent des gammes de voitures à hydrogènes, Michelin a en partie racheté un constructeur de piles à combustibles, qui servent pour l’alimentation des voitures à hydrogène.
Et la finance, dans tout cela ? Quel rôle a-t-elle à jouer ?
Certaines sociétés financent des startups, cela permet de soutenir la recherche et l’innovation. Et puis il faut bien sûr soutenir les grandes sociétés qui se mettent en transition : en consacrant une partie importante de leur budget à la technologie de l’hydrogène, les entreprises envoient un signe positif aux investisseurs : elles innovent dans des technologies bas-carbone, ce qu’il faut encourager !
crédits photo: rony michaud