Cette semaine, Jeanne Gohier de Fideas Capital nous parle du problème lié au changement d'usage des sols liés aux exploitations de cannes à sucre, de betteraves, d'amidons de blés, servant pour la production de ce que l'on appelle les "biocarburants".
Nous évoquons aujourd’hui les biocarburants, comment sont-ils produits et pourquoi est-ce qu’on les qualifie de « renouvelables » ?
Les biocarburants sont des combustibles liquides issus de matière végétale qui sont incorporés dans les combustibles fossiles : leur renouvellement est plus rapide que les carburants conventionnels comme l’essence ou le diesel. En France en 2019, les biocarburants représentaient 8,6% du volume de carburant mis à la consommation. Il y a plusieurs types de biocarburants qui sont fabriqués à partir de diverses sources végétales.
Justement avec quoi est-ce que l’on produit des biocarburants ?
Prenons les deux substituts pour l’essence et le diesel. Le bioéthanol, qui est un substitut partiel pour l’essence, est obtenu en faisant fermenter du sucre issu de la betterave, de la canne à sucre, ou encore à partir d’amidon de blé ou de maïs. Le biogazole se substitue au diesel, on l’obtient à partir d’huiles végétales de colza, de tournesol, de soja ou d’huile de palme. On peut ensuite mélanger le bioéthanol avec l’essence et le biogazole avec le diesel. Ce sont des biocarburants de première génération, on les produit à échelle industrielle aujourd’hui.
On les produit donc avec des ressources alimentaires ?
Oui et c’est là qu’est le problème : l’exploitation de cette matière végétale nécessite une libération très importante de surface cultivable, ce qu’on appelle le changement d’usage des sols. Cela a deux conséquences : la première, d’augmenter drastiquement l’empreinte carbone des biocarburants, et la seconde de créer de la concurrence avec les terres cultivées pour l’alimentation.
Est-ce qu’une solution a été trouvée ?
Aujourd’hui la production de biocarburant coûte plus cher que la production d’essence ou de gazole, les biocarburants doivent être soutenus par les états pour être vendus à des prix compétitifs. Le surcoût dépend beaucoup de la matière agricole utilisée pour produire le biocarburant : il est plus important pour le biogazole qui est fait à partir d’huiles végétales. Cela dépend aussi du coût de la main d’œuvre. Les biocarburants de 2ème génération devraient être peu onéreux lorsque la production sera amplifiée, car leur coût de production est plus faible.
Les biocarburants représentent un enjeu énorme pour le secteur de l’aviation, est-ce que cela permettrait de décarboner le secteur de manière significative ?
Oui en effet, c’est une voie de décarbonation importante pour le secteur, notamment parce qu’il est possible de produire des biocarburants qui peuvent se substituer en partie au kérosène. Actuellement la régulation manque cruellement dans le secteur : il n’y a aucune obligation d’incorporer du biocarburant dans le carburant utilisé, et l’absence de fiscalité sur le kérosène n’incite pas les compagnies aériennes à le faire… Les biocarburants sont aujourd’hui 2 à 4 fois plus chers que le kérosène. Certaines compagnies ont promis de réduire leurs émissions de 50% d’ici 2050, mais c’est un objectif très ambitieux et difficile à réaliser, parce qu’il faudrait incorporer 45% de biocarburants dans le kérosène, et limiter voire réduire le trafic aérien.
Le mot de la fin ?
Je dois préciser un point essentiel : les biocarburants, s’ils sont exploités raisonnablement, assurent une plus grande indépendance énergétique. Dans un pays où nous importons toute notre énergie fossile, c’est un argument de taille ! La France est d’ailleurs leader européen dans la filière du bioéthanol. Les biocarburants de 2ème génération semblent très prometteurs, un investissement massif du secteur privé permettra d’accélérer leur développement et de faire de vrais progrès dans la transformation du secteur des transports.
Laurence Aubron - Jeanne Gohier
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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Image par Yves Bernardi de Pixabay