Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous abordons la question complexe des déchets et du recyclage, un enjeu vital dans un monde où la population grandit et produit de plus en plus de déchets. Les chiffres sont vertigineux !
Oui les chiffres sont assez effrayants ! Selon un rapport de la Banque mondiale, le monde produit plus de 2 milliards de tonnes de déchets par an, et ce chiffre pourrait monter jusqu’à 3,4 milliards de tonnes en 2050. L’augmentation du volume de déchets est due à 3 facteurs : l’augmentation de la population, l’urbanisation et l’augmentation du niveau de vie. L’enjeu est de taille, parce que les déchets ont un impact négatif sur l’environnement et la santé, notamment le plastique. En Europe le traitement des déchets est la quatrième source d’émissions de gaz à effet de serre.
Alors justement comment s’en sortir ? Est-ce que le recyclage suffit ?
La réponse est simple : non, le recyclage ne va pas suffire, l’urgence absolue est de réduire nos déchets. Le recyclage ne suffit pas, puisque dans le monde 44% des déchets sont organiques, et que les pays émergents ne collectent que 39% de leurs déchets actuellement. On parle beaucoup du recyclage du plastique, d’adopter de meilleures habitudes de recyclage, cela ne sera pas suffisant. Attention, cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter de recycler ! Il faut simplement mettre nos efforts en perspective et prioriser nos actions.
Alors justement qu’est-ce qu’on devrait prioriser ?
Dans les pays développés la priorité est comme je l’ai dit de réduire nos déchets, mais aussi de mieux les trier et les traiter. Par exemple les déchets organiques représentent une part non négligeable de nos poubelles, un tiers en Europe par exemple. Il faut limiter le gaspillage alimentaire et développer la valorisation de ces déchets organiques, par le compostage ou la méthanisation par exemple. La Commission européenne a d’ailleurs ordonné la collecte séparée des biodéchets sur tout le territoire en 2024. Le recyclage reste aussi un enjeu important, notamment pour réduire la pollution de plastique dans les mers et des océans. Aujourd’hui le plastique reste une catastrophe environnementale majeure : presque 80% de nos déchets plastiques, souvent à usage unique, sont accumulés dans des décharges ou dans la nature.
La Chine avait interdit l’importation de plastique à recycler en 2018, est-ce que cela a eu un effet sur le recyclage du plastique ?
Oui, très vite cela a fait chuter les flux de déchets plastiques transportés d’un bout à l’autre de la planète. Les pays exportateurs, comme les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou l’Allemagne ont voulu relocaliser leurs déchets vers d’autres pays de l’Asie du Sud-Est : la Malaisie, la Thaïlande ou le Vietnam et ont provoqué un goulot d’étranglement dans les ports. Certains pays ont renvoyé les déchets vers leur pays d’origine, ce qui a conduit à l’incinération et l’enfouissement de milliers de tonnes de plastique. A terme, les pays d’Asie du Sud-Est vont suivre l’exemple de la Chine : pour se prémunir de l’impact nocif du plastique sur l’environnement et la santé, la Malaisie, la Thaïlande, l’Inde et le Vietnam ont décidé d’arrêter d’importer des déchets plastiques cette année. Depuis le 1er janvier, les pays de l’Union européenne ne peuvent plus envoyer leurs déchets plastiques vers des états non-membres de l’OCDE. C’est une petite révolution car les pays asiatiques vont enfin arrêter d’être la poubelle des pays développés.
Est-ce que cela va inciter les pays développés à réduire leur production de déchets non recyclables ?
Rien n’est moins sûr, parce que les flux circulaires de matière sont encore très minoritaires et très peu rentrent encore très peu dans les habitudes des gens. Même si le plastique a clairement amélioré l’hygiène de vie, notamment pour la santé publique, il est aujourd’hui nécessaire d’avoir une deuxième révolution du plastique, celle où le recyclage concerne l’immense majorité des déchets et où les matériaux ont une durée de vie bien plus élevée. Certaines entreprises innovent : Apple par exemple, a développé des robots qui sont capables de désassembler les smartphones pour récupérer des matériaux comme les métaux rares pour les recycler. Certaines villes ont imposé des réglementations fortes pour stopper l’utilisation de plastique à usage unique : dans la ville de Berkeley aux Etats-Unis, seuls les déchets compostables sont autorisés. Il faut absolument que ces exemples se généralisent !
Le mot de la fin ?
Se dire que l’on n’a pas besoin de changer nos habitudes de consommation simplement parce que l’on trie nos plastiques et nos cartons dans les poubelles jaunes ne suffit plus ! En tant que citoyens, il faut absolument réduire nos quantités de déchets, limiter la quantité de plastique à usage unique, développer les pratiques de tri des biodéchets. Les entreprises doivent également prendre leur responsabilité en adoptant de meilleures pratiques de recyclage. Enfin les Etats doivent accélérer la réglementation pour progressivement interdire la production et la consommation de matériaux non recyclables : la décision de la Chine a mis un coup de pied dans la fourmilière, qui espérons-le sera bénéfique pour changer nos mauvaises habitudes !
Il y a encore un long chemin à faire, mais c’est encourageant !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image par Nattanan Kanchanaprat de Pixabay