Smart for Climate

Le marché du carbone - Smart for climate #8

Le marché du carbone - Smart for climate #8

Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.

Vous voulez nous parler aujourd’hui d’un système de réduction des émissions peu connu : le marché du carbone. Pouvez-vous nous dire ce que c’est ?

Historiquement, lorsqu’une entreprise émettait des gaz à effet de serre, cela ne lui coûtait rien. D’ailleurs c’est ce qui nous a amenés à la situation actuelle. Or, si le capitalisme a ses défauts, c’est un outil très efficace pour utiliser au mieux une ressource, en la limitant ou en la faisant fructifier.

L’idée d’un marché du carbone est d’abord de mettre une limite aux émissions autorisées de gaz à effet de serre, puis d’introduire ces émissions sur un marché, ce qui permet de leur donner une valeur monétaire qui varie librement pour équilibrer la demande et l’offre et allouer au mieux la ressource.

En pratique, on va permettre aux entreprises d’échanger des émissions de gaz à effet de serre sous la forme de quotas d’émissions : un quota carbone, c’est un droit à émettre une tonne de CO2.

Quel est le fonctionnement de ce marché et comment les crédits carbones sont échangés ?

D’abord, il faut définir un stock d’émissions qui seront échangeables, on fixe donc une limite des émissions autorisées. En Europe, c’est le Parlement européen qui vote le total des quotas qui seront échangés. L’ensemble des quotas sont initialement répartis entre pays, puis entre les entreprises en fonction de leurs émissions passées.

Ensuite les quotas sont échangés librement. Par exemple, une entreprise reçoit au départ 150 000 tonnes de CO2, car cela correspond à ses émissions passées. Si sa croissance fait qu’elle émet 200 000 tonnes de CO2, elle doit acheter les 50 000 tonnes manquantes sur le marché du carbone. Au contraire, une entreprise qui a fait des investissements pour réduire ses émissions, et qui a donc reçu un trop-plein de quotas peut les revendre sur le marché et rentabiliser ses investissements.

Oui Jeanne, mais dans votre exemple, les 50 000 tonnes économisées par l’un et vendus, sont émises par l’autre. Alors, comment est-ce que cela réduit les émissions ?

Ce n’est pas l’échange de quotas en lui-même qui réduit les émissions, mais le stock global de quotas qui diminue au cours du temps, ce qui donne aux entreprises de moins en moins le droit d’émettre des gaz à effet de serre. Moins il y a de quotas disponibles, plus ceux-ci vont devenir chers. A chaque hausse de prix, investir pour réduire ses émissions va devenir rentable pour de plus en plus de sociétés. C’est exactement comme l’augmentation du prix du fuel, qui va rentabiliser l’achat d’une chaudière plus efficace ou une amélioration de l’isolation dans une maison.

Le rôle du régulateur est donc très important : en diminuant au fur et à mesure le nombre total de quotas que l’on peut échanger, il impose une réduction significative des émissions. Lorsque le marché est efficace, les émissions sont réduites là où c’est le plus rapide et le moins coûteux.

Et justement, est-ce que ce système fonctionne bien ?

Au début, le marché du carbone n’a pas bien fonctionné. Trop de quotas carbones ont été attribués et émis, sur des calculs faits juste avant la crise de 2008, donc leur prix n’a pas été source de réduction. La crise économique a entraîné une chute des émissions et une baisse de la demande de quotas.

L’Union Européenne a donc décidé de diminuer drastiquement le nombre de quotas disponibles. Comme l’on pouvait s’y attendre, le prix des quotas a augmenté de 5€ à 25€ la tonne de CO2. Cela permet à beaucoup plus d’entreprises de diminuer leurs émissions. On prévoit dans plusieurs années des prix jusqu’à 80 ou 100 € la tonne !

Quels secteurs participent à ce marché ?

Les principaux secteurs sont les plus pollueurs : les activités de raffinage, de chimie, l’acier et le ciment. En 2012 l’aviation civile a aussi été introduite. Cela représente 45% des émissions européennes ! Il y a un autre secteur important : les producteurs d’électricité à partir de combustibles fossiles, qui n’ont aucun quota au départ, donc cela rentabilise tout de suite la conversion aux énergies renouvelables.

Enfin, vous remarquerez que je n’ai pas parlé d’efforts ou d’altruisme pour susciter la réduction des émissions. Le marché du carbone est vraiment fait pour inscrire cette réduction dans des décisions rationnelles de recherche du profit, et d’utiliser l’efficacité des mécanismes du capitalisme pour y parvenir. Cela dit, ça ne doit pas empêcher l’altruisme bien sûr.

Sources:

crédits photo: Chris LeBoutillier