Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous parlons d'un sujet dont on parle un peu moins mais qui est préoccupant : la biodiversité est en train de s’effondrer. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Je commence par rappeler ce qu’est la biodiversité. Il s’agit de l’ensemble de la vie sur Terre : tous les milieux naturels et toutes les formes de vie. Elle donne aux hommes des ressources inestimables : l’oxygène, la nourriture, de nombreuses matières premières… Depuis quelques dizaines d’années, la biodiversité s’est effondrée à cause de plusieurs facteurs : la surexploitation des ressources naturelles est la première cause de disparition de milliers d’espèces. La surpêche est sans doute l’exemple le plus marquant. Le changement d’usage des terres est l’autre facteur principal de cette chute de biodiversité. En détruisant et en fragmentant les habitats naturels, la productivité des sols a diminué de 23%. Cela a été aggravé par la pollution de l’eau et des sols, notamment par les activités d’agriculture intensive utilisant des produits phytosanitaires, des pesticides par exemple.
Est-ce que l’érosion de la biodiversité a un lien avec le changement climatique ?
A l’heure actuelle, si le changement climatique n’est pas le facteur principal de la chute de la biodiversité observée, c’est à coup sûr un facteur aggravant : on peut lui attribuer indirectement la disparition locale de certaines espèces et une diminution de certaines populations. Par exemple, des périodes de sécheresse accrues ou des inondations importantes peuvent mettre en péril la survie de nombreuses espèces : les populations d’hippopotames ou de tortues sont affectées par des périodes de sécheresse et de températures élevées qui sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves. L’acidification des océans, que l’on peut relier à une augmentation du CO2 absorbé, menace la survie de nombreux coquillages car leur carapace et leur squelette sont fragilisés.
Pourquoi est-ce qu’il est important d’agir rapidement pour la protection de la biodiversité ?
D’une part, pour assurer la sécurité alimentaire et la survie d’une population humaine qui va atteindre 9,7 milliards d’individus en 2050, en particulier les populations les plus pauvres, qui seront les premières impactées à la fois par le changement climatique et par la perte de biodiversité. Ensuite, parce que la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique présentent souvent des synergies. Une gestion durable de l’agriculture permet par exemple de restaurer la biodiversité et la productivité agricole, et d’absorber davantage de dioxyde de carbone. En revanche, il existe des contre-exemples : ainsi, la production de bio-carburants utilise beaucoup de terres cultivables, souvent occupées par de la monoculture, c’est-à-dire la culture d’une seule espèce végétale, ce qui représente une menace pour la biodiversité.
Comment s’assurer, en tant que financier, que les investissements ne représentent pas une menace pour la biodiversité ?
C’est une question complexe, car aujourd’hui il existe très peu d’indicateurs qui permettent de mesurer l’impact de l’investissement sur la biodiversité. Pour la question du climat, on utilise les émissions de gaz à effet de serre que divulguent les entreprises, données qui s’améliorent à la faveur de la pression de la réglementation et des investisseurs. Et, en cas d’absence de données, il existe aussi des estimations. Pour la biodiversité, il n’y a pas d’indicateur équivalent qui soit vraiment fiable à l’heure actuelle. Donc on navigue à vue pour l’instant, malheureusement surtout quand le mal est fait. Il est ainsi difficile de mesurer les impacts négatifs de nos investissements sur la biodiversité, et donc de savoir comment les diminuer. Sachant qu’en plus, la perte de biodiversité représente une menace pour certaines activités économiques ; c’est un risque pour la finance encore très mal évalué.
Est-ce qu’un travail est en cours pour améliorer cette mesure d’impact ?
Oui, notamment grâce à un appel de plusieurs acteurs du monde financier, qui en 2019 avaient appelé à une meilleure prise en compte des problématiques de biodiversité dans les investissements. Certains instituts de recherche ont développé des premiers indicateurs : par exemple, un indicateur qui fait écho à l’empreinte carbone d’une entreprise, et qui peut paraître brutal, le nombre de disparitions d’espèces par million de dollars de chiffre d’affaires. Plus récemment, la Commission européenne étudie aussi le sujet, pour obliger les entreprises et les investisseurs à publier certaines données d’impact sur la biodiversité. C’est le début, espérons que ces données se développent pour permettre à chacun de prendre ses responsabilités.
Laurence Aubron - Jeanne Gohier
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image par Mylene2401 de Pixabay