On l’a vu à la COP26 qui se tient à Glasgow, une centaine de pays se sont engagés à arrêter les pratiques de déforestation d’ici 2030. Concrètement qu’est-ce que cela signifie ?
Oui c’est une première grande annonce qui a été faite par de nombreux pays membres de l’ONU. Les signataires représentent 85% des forêts mondiales. Parmi ceux-ci, on retrouve la France, les Etats-Unis mais aussi le Brésil. Par ailleurs il n’y a pas que les pays qui se sont engagés contre la déforestation : 30 institutions financières ont promis d’arrêter de financer les activités soutenant la déforestation, et au contraire d’investir dans la gestion durable des forêts. Au total, les pays signataires ont mobilisé un peu plus de 10 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent 6 milliards d’euros d’investissements privés. Ils serviront à restaurer les écosystèmes dégradés, lutter contre les incendies et soutenir les peuples autochtones.
Est-ce un vrai bond en avant pour l’environnement ?
Ce genre d’annonce est à prendre avec des pincettes, car les pays peuvent annoncer des objectifs non contraignants lors des sommets sur l’environnement et le climat : ils peuvent afficher des objectifs, mais sans aucune contrepartie financière ou légale. L’exemple du Brésil est assez frappant : le gouvernement de Bolsonaro n’a pas fait preuve d’aucun engagement réel en faveur de l’action climatique ces dernières années… Pire encore, il a allégé les réglementations qui permettaient de lutter contre la déforestation illégale. Rien ne permet d’affirmer qu’il va tenir son engagement fait à la COP26.
Quel est exactement l’impact de la déforestation sur l’environnement ?
Il est extrêmement nocif ! Car non seulement la déforestation détruit la biodiversité mais elle est aussi très émettrice de gaz à effet de serre. Selon le Global Carbon Project, en 2020 la déforestation était responsable de presque 6 milliards de tonnes équivalent CO2, c’est près de 15% des émissions de gaz à effet de serre d’origine humaine. La végétation, en particulier la forêt, est un puits de carbone formidable : la photosynthèse permet aux plantes d’absorber du CO2 en poussant. Lorsqu’on détruit la forêt, tout ce CO2 stocké dans les plantes se trouve rejeté dans l’atmosphère. C’est particulièrement vrai dans la forêt d’Amazonie, qui est aujourd’hui une source de gaz à effet de serre plutôt qu’un puits : la forêt est ancienne, donc la capacité des arbres à faire de la photosynthèse diminue car ils ont atteint leur maximum de croissance. Ils n’arrivent donc plus à compenser les émissions liées à la déforestation, qui depuis 1970 a entraîné la perte de 20% de la surface forestière.
Vous avez également parlé d’atteinte à la biodiversité ?
Oui, parce que les forêts regroupent aujourd’hui 80% des espèces animales et végétales terrestres. Les activités déforestation ont donc un impact pour la sécurité alimentaire et économique de centaines de millions de personnes, pour lesquelles la forêt est la principale source de richesses. La perte de biodiversité entraîne l’érosion des sols : ils sont moins riches en carbone, donc moins fertiles et plus exposés à des événements climatiques extrêmes.
Quel rôle peut jouer l’industrie financière dans la lutte contre la déforestation ?
En choisissant dans quelles entreprises elle investit ou quelles entreprises elle finance, elle peut contribuer fortement à la lutte contre la déforestation. Si je prends l’exemple de la production de soja, principal responsable de la déforestation en Amazonie, et qui sert principalement à l’alimentation animale, un investisseur peut décider de limiter ou même d’exclure les activités de production de soja de ses investissements. Couper le robinet du financement à ces projets les ralentit. Il peut aussi engager des discussions avec certains acteurs de l’industrie agro-alimentaire pour vérifier leurs bonnes ou mauvaises pratiques en matière d’alimentation animale. C’est également le cas pour l’huile de palme, qui est non seulement une matière première dans l’industrie agro-alimentaire mais aussi dans le secteur de l’énergie.
Jeanne Gohier au micro de Laurent Pététin
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
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