Cette semaine avec Jeanne Gohier, nous parlons aujourd’hui d’un secteur dont on parle de plus en plus pour son impact environnemental : le numérique. Pouvez-vous nous expliquer ?
Oui on en parle beaucoup, d’autant plus depuis l’année dernière où le numérique a pris une place prépondérante dans nos vies quotidiennes. Malheureusement, l’empreinte carbone du numérique ne cesse d’augmenter (8%/an). En 2019 le numérique représentait déjà 3,5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre : c’est l’équivalent de la flotte mondiale de camions. Ce rythme de croissance n’est pas soutenable en termes d’empreinte carbone !
Qu’est-ce qui cause ces émissions de gaz à effet de serre ?
Il y a plusieurs facteurs : d’abord toutes les matières premières et les matériaux nécessaires à la construction d’ordinateurs, de serveurs, de télévisions, d’écrans… La production du matériel informatique représente 40% des émissions du secteur. Le reste est lié à l’utilisation courante, qui est énergivore parce qu’il faut beaucoup d’électricité pour stocker toutes les données informatiques qui circulent. Pour vous donner un chiffre : si vous regardez une vidéo sur Netflix pendant une heure, vous générez environ 100g de CO2, soit autant qu’un ventilateur de 75W que vous laissez tourner pendant 6h.
Est-ce que des améliorations sont possibles ?
Oui, mais les décisions ne seront pas simples à prendre. On peut jouer sur les deux sources d’émissions : la production et l’utilisation du matériel informatique et des données. Pour la production, il faut produire avec de l’électricité propre, et augmenter drastiquement le recyclage et la réutilisation du matériel informatique, surtout pour réutiliser certains métaux comme le gallium, le cuivre ou le cobalt. La vraie discussion va venir autour de l’utilisation et de la multiplication des données, qui augmentent de 26% tous les ans, et qui sont stockées dans des serveurs demandant beaucoup d’énergie pour fonctionner. Par exemple, l’empreinte carbone du bitcoin est très élevée car les serveurs utilisés pour cette cryptomonnaie sont majoritairement situés en Chine, là où l’électricité est produite par du charbon.
Il faudrait donc limiter notre utilisation du numérique ? C’est à contre-courant de ce qu’il se passe actuellement !
D’un certain côté oui. La sobriété des usages n’est pas à la mode, elle est pourtant nécessaire. Mais il ne faut pas oublier que le secteur du numérique peut être un formidable levier pour la transition écologique, et qu’il est au cœur de tous les secteurs, surtout en cette période de crise. Il émet du CO2 mais peut permettre d’en éviter encore plus. Je vous donne deux exemples. Le premier est un peu évident : l’essor du télétravail permet de faire des économies d’énergie sur le transport, de diminuer la pollution sur les routes, et d’utiliser des bureaux moins spacieux, qui utiliseront donc moins d’énergie pour le chauffage ou la climatisation. Le deuxième exemple, c’est un fournisseur d’électricité britannique, Octopus Energy. Les clients ont accès à de l’électricité propre à des prix défiant toute concurrence et grâce à une application astucieuse, ils peuvent surveiller et contrôler leur consommation d’énergie. Octopus Energy valait 35 millions de livres sterling en 2017, elle en vaut presque 3 milliards aujourd’hui !
Il faut quand même réfléchir à l’utilisation des données, c’était d’ailleurs tout le débat autour de la 5G ?
Oui c’est un point essentiel. Au rythme actuel où progressent les choses, le numérique risque de faire plus de mal que de bien. Il faut réfléchir à une utilisation raisonnée des données : a-t-on besoin de la 5G pour un usage personnel sur notre smartphone, ou faut-il la limiter au secteur médical, à la voiture autonome, à l’industrie pour optimiser la production et faire des économies d’énergie ? De même, faut-il davantage réguler les entreprises du numérique, qui pèsent énormément sur les marchés financiers, pour limiter leur impact environnemental ? C’est un vrai défi. Rappelons les parties en présence : aujourd’hui les entreprises emblématiques de la tech américaine Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft représentent 18% de l’indice américain S&P 500 , et elles sont toutes puissantes !
Interview réalisée par Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici
Image par Monoar Rahman Rony de Pixabay