Vous nous parlez aujourd’hui d’un phénomène assez technique : le greenium. C’est à l’évidence un néologisme, qu’est-ce que cela veut dire ?
Le terme greenium est issu de la contraction des mots anglais green (la couleur verte en français) et premium, ou la prime. Le principe est assez simple : les investisseurs sont prêts à sacrifier du rendement pour des obligations vertes par rapport à des obligations standard. Nous avions déjà parlé des obligations vertes dans une précédente chronique, rappelons que c’est un moyen pour un emprunteur de financer des projets qui contribuent à la lutte contre le réchauffement climatique et à la préservation de l’environnement.
Ça veut dire quoi exactement « les investisseurs sont prêts à sacrifier du rendement » ?
Je vais prendre un exemple simple. Imaginons qu’un fournisseur d’énergie a besoin de financer deux projets : la construction d’une nouvelle usine pour raffiner du pétrole, et le développement d’un parc éolien en mer pour produire de l’électricité renouvelable. Pour financer ses deux projets il émet deux obligations de 1 milliard d’euros chacune sur 5 ans : une obligation standard pour la raffinerie et une obligation verte pour le parc éolien. Les investisseurs peuvent acheter ces obligations sur le marché, c’est comme s’ils accordaient un prêt sur 5 ans à l’entreprise pour qu’elle puisse développer les deux projets. A cause du greenium, sur le marché l’obligation verte va pouvoir proposer un taux plus faible qu’une obligation standard : un investisseur est prêt à sacrifier du rendement pour financer le parc éolien plutôt que l’usine de raffinerie. Cela va à l’avantage de celui qui emprunte pour financer un projet durable : le coût est moindre.
Est-ce que ce greenium est bien visible sur le marché et pourquoi existe-t-il ?
Son existence a été discutée, mais depuis 2020 l’investissement responsable a connu une croissance fulgurante : la différence de rendement entre une obligation verte et une obligation standard n’a cessé de s’accroître depuis, ce qui laisse penser qu’il y a bien un greenium sur le marché. Ceci s’explique largement par la volonté croissante des épargnants, particuliers et institutionnels, d'investir dans des projets verts d'où une forte pression acheteuse pour les obligations vertes : la demande pour les obligations vertes a explosé, ce qui a naturellement fait monter les prix car l’offre n’a pas suivi le même rythme.
Vous avez un exemple ?
Oui il est assez frappant : l’Allemagne émet régulièrement depuis fin 2020 une obligation verte, qui a un rendement inférieur à celui de l’obligation conventionnelle ayant les mêmes caractéristiques. En un an cet écart, le greenium, est passé de 1 à 6 points de base, cela fait 6 centimes par an pour 100 euros prêtés. Ça n’a pas l’air grand-chose, mais c’est significatif. En somme, le greenium c’est le signe d’une forte demande, c’est-à-dire que la transition qui demande beaucoup d’investissements trouvera sans difficulté les volumes dont elle a besoin, et c’est aussi un signe de confiance des investisseurs : implicitement, un projet plus durable c’est un projet plus solvable.
Avec ces prix qui augmentent est-ce que les entreprises qui émettent ces obligations vertes ne prennent pas le risque qu’un jour les investisseurs arrêtent de les acheter parce qu’elles sont trop chères ?
Pour l’instant on ne voit pas du tout ce phénomène apparaître : à l’heure actuelle, oui la demande des investisseurs est très forte, le greenium augmente mais il y a aussi de plus en plus d’obligations vertes qui inondent le marché. On ne peut donc pas affirmer que les investisseurs risquent d’arrêter de financer ces obligations vertes parce qu’elles sont surévaluées.
C’est donc une bonne nouvelle pour le développement de projets durables et pour les entreprises qui émettent des obligations vertes ?
Oui c’est une bonne nouvelle parce que cela veut dire que de plus en plus de projets verts peuvent voir le jour. Pour les émetteurs des obligations vertes, ce qui compte surtout c’est le taux d’intérêt au moment de l’émission : ils ne bénéficient pas de l’évolution du greenium, simplement de sa valeur au moment où l’obligation est émise. Plus le greenium augmente, moins cela leur coûte cher d’emprunter sur le marché des obligataires.
Pour les investisseurs et les épargnants individuels, qui choisissent librement de recevoir un rendement moins élevé, cela traduit leur préférence à financer des projets verts. Et vous Laurent, seriez-vous prêt à renoncer à une petite partie de votre rendement pour financer la transition énergétique ?
Ah oui, les 6 centimes, je vais y réfléchir… merci Jeanne pour ces précisions et à la semaine prochaine !
Jeanne Gohier au micro de Laurence Aubron
Jeanne Gohier est analyste sur la finance du climat chez Fideas Capital, qui propose aux Européens d’investir « Smart for Climate », c’est-à-dire de prendre en compte les enjeux du réchauffement climatique dans leurs placements.
Tous les éditos "Smart for Climate" de Jeanne Gohier sont à retrouver juste ici