Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Aujourd'hui, nous avons le plaisir d’accueillir Carole Billet, Maîtresse de Conférences en droit public à Nantes Université.
Le Conseil de l’Union européenne a prolongé la protection temporaire des réfugiés ukrainiens jusqu’en mars 2025. C’est un signe fort envers les civils en temps de guerre, non ?
Un signe fort, qui s’ajoute aux milliards d’euros mobilisés pour l’Ukraine grâce à la toute récente « Facilité européenne pour la paix », pour financer notamment l’achat d’armes, et aux paquets de sanctions successifs imposés à la Russie et la Biélorussie depuis février 2022.
Mais c’est surtout une mesure inédite, cette « protection temporaire », qui facilite à la fois la vie des ukrainiens fuyant la guerre et le travail des pays d’accueil. Elle a été décidée en quelques jours, puisque la décision du Conseil accordant cette protection date du 4 mars 2022, considérant que les conditions étaient réunies. A savoir une situation, je cite, « d'afflux massif de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d'origine ».
Autre facteur inédit : cette décision a fait l’objet d’une décision unanime au sein du Conseil, fait rare dans un contexte où les politiques migratoires sont de plus en plus divergentes, et où les Etats membres peinent à s’accorder sur les réformes pourtant nécessaires en matière d’asile.
Mais l’existence même de ce dispositif ne date pas d’hier…
Non, effectivement : la protection temporaire avait été imaginée en 2001 déjà, dans le cadre d’une directive européenne, mais jamais les Etats membres ne s’étaient accordés pour l’octroyer à des ressortissants de pays tiers. Quand bien même les occasions ne manquaient pas, vu les déplacements massifs de personnes pour cause de guerre, en Afghanistan ou en Syrie. Mais le contexte politique était bien évidemment différent …
Pour les Ukrainiens ce statut implique donc qu’ils sont protégés sur le territoire de l’Union, et de façon automatique – donc sans étude de leur situation personnelle et sans avoir à passer par la longue procédure d’asile. Ils bénéficient d’un droit de séjour, et de plusieurs autres droits visant à faciliter le séjour dans la société, tels que le droit de travailler.
Est-il possible d’en tirer un bilan intermédiaire après 18 mois ?
En février de cette année, la Commission avançait quelques chiffres.
- « Environ 4 millions de personnes se sont enregistrées en tant que bénéficiaires de la protection temporaire
- plus d’1,1 million de bénéficiaires ont un emploi
- plus de 700 000 enfants ont été scolarisés
C’est un bilan tout à fait remarquable.
Mais ? Je sens qu’il y aura un « mais »…
Oui, il y a une grande difficulté inhérente à la mesure : comme son nom l’indique, cette protection est … « temporaire », justement. Le dispositif était prévu pour une durée de deux ans, la récente décision du Conseil vient la proroger pour une 3ème année mais cela reste un statut provisoire pour ces personnes. Leur but, est bien sûr, à terme, de pouvoir rentrer chez eux, mais la guerre s’éternise et leur situation demeure extrêmement difficile.
Beaucoup d’ukrainiens anticipent la fin de leur statut protecteur et commencent à demander un statut de réfugié, qui permet d’obtenir une carte de résident de 10 ans.
Sauf qu’il faudra pour ça reprendre la procédure « normale » de l’octroi de l’asile, une procédure longue et compliquée. Et ce qui risque d’engorger encore plus des systèmes nationaux de traitement des demandes déjà surchargés, car il y a aussi, et ne l’oublions pas, de nombreux autres demandeurs d’asile qui arrivent dans l’Union européenne.
Et pour les Ukrainiens, comme pour d’autres, l’obtention du statut de réfugié comporte de l’incertitude, car le seul fait que son Etat d’origine soit toujours en guerre ne suffit pas, chaque demandeur d’asile doit prouver qu’il craint, avec raison, d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. Ce sont là des conditions strictes, interprétées de manière stricte par les Etats.
Si la guerre en Ukraine s’éternise, l’Union européenne n’aura pas d’autre choix que de se montrer innovante, y compris sur la « protection temporaire ».
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.