Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Nous suivons la guerre en Ukraine au jour le jour, nous évoquons les défis posés par sa future adhésion à l’Union, mais vous, Michel Catala, en tant qu’historien, vous embrassez les relations euro-ukrainiennes dans une perspective bien plus large. Retour sur une époque charnière, le début des années 90.
Il est vrai qu’au début de la dernière décennie du XXème siècle, l’indépendance de l’Ukraine pouvait être perçue comme une menace pour la paix en Europe. Car l’Ukraine était un maillon essentiel de la puissance militaire soviétique. En témoignait la présence sur son territoire d’au moins 1700 ogives nucléaires, et de la puissante flotte de la mer Noire dans la base navale de Sébastopol en Crimée. Et dès la fin de l’URSS en décembre 1991, les contentieux entre l’Ukraine et la Russie sont nombreux, notamment sur l’avenir de la Crimée – déjà !
Bref : l’importance stratégique de ce nouvel État pour la sécurité de l’Europe centrale et orientale était évidente, et les douze États membres que comptait l’UE à l’époque ne pouvaient pas rester indifférents à l’avenir d’un pays très fragile, resté aux mains d’une élite politique issue du Parti communiste et souvent corrompue.
Comment l’Europe a-t-elle répondu à ce défi ?
Il s’agissait de stabiliser toute la région en répondant à la demande de pays d’Europe centrale de s’arrimer aux organisations européennes et à l’Alliance atlantique, tout en faisant de la Russie un vrai partenaire. Pour Kiev, le rapprochement avec l’UE est une étape essentielle vers la reconnaissance internationale du pays, dans le cadre de son retour vers l’Europe. Et un moyen de se distancier de la Russie et de lui montrer son refus de rester sous sa dépendance.
A l’Ouest, les Européens restent très prudents face à l’indépendance des anciennes républiques soviétiques. Côté français, Mitterrand soutient Gorbatchev jusqu’au bout comme gage de stabilité. Il ne félicite même pas Leonid Kravtchouk pour son élection à la tête de l’Ukraine en décembre 1991. Et même si les deux pays signent des accords de coopération dès juin 1992, un grand doute habite les élites françaises durant de longues années. En février 1993, Valéry Giscard d’Estaing déclare que « l’indépendance de l’Ukraine n'est pas plus fondée que le serait en France celle de la région Rhône-Alpes. »
Et du côté allemand ?
Pour des raisons historiques et géopolitiques, le chancelier Helmut Kohl fait de l’Ukraine un pays stratégique pour sa politique vers l’Est, tout en proclamant une volonté d’équilibre entre la Russie et l’Ukraine, sans privilégier l’un au détriment de l’autre. En visite officielle à Kiev dès juin 1993, il appelle l’Ukraine au désarmement nucléaire tout en promettant des aides financières très importantes et en engageant une coopération militaire entre les deux pays. L’Allemagne pousse l’UE, renforcée par le traité de Maastricht en février 1992, à entamer une véritable « Ostpolitik » communautaire. L’Ukraine en est un élément très important.
Et que font les institutions européennes ?
À Bruxelles, la Commission met en place le programme de soutien financier TACIS. Un premier contact a lieu entre la Commission et le gouvernement de Kiev dès janvier 1992, le gouvernement ukrainien multipliant les déclarations d’européanité tout en souhaitant une égalité de traitement avec la Russie. Les négociations durent tout de même deux ans, car l’UE attendait que l’Ukraine finalise les négociations sur le démantèlement de ses armes nucléaires, qui aboutissent en 1994.
L’Ukraine est le premier pays de l’ex-URSS a signé un Accord de Partenariat et de Coopération avec l’UE le 14 juin 1994 à Luxembourg. Mais dans leur déclaration commune de Corfou, les Douze rappellent que le succès de l’accord, je cite, « dépendra en grande partie de la volonté constante et de la capacité soutenue des autorités ukrainiennes de faire avancer le processus de réforme économique et politique. » Toujours prudents, les États membres ont refusé toute référence à une future intégration de l’Ukraine à l’UE dans l’accord final.
En résumé, ce moment charnière du début des années 90, reste marqué par une vraie méfiance de l’Union envers des gouvernants ukrainiens peu fiables. Si la politique a évolué depuis, la géographie, elle, est restée inchangée : l’Ukraine reste d’une importance stratégique pour la paix en Europe.
Merci, Michel Catala, de retour en arrière instructif. Je rappelle que vous êtes Professeur d’Histoire Contemporaine à Nantes Université, et directeur du Centre d’Excellence Jean Monnet UniPaix.