Bonjour, Carole Billet, maîtresse de Conférences en droit public à Nantes Université, vous vous intéressez à l’enquête ouverte en 2023 par le Bureau du Procureur de la Cour Pénale Internationale, la « CPI », sur la situation en Ukraine. Rappelez-nous : sur quoi porte cette enquête ?
La CPI est une juridiction internationale permanente située à La Haye, créée il y a 25 ans, qui enquête sur les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression. Elle ne juge pas les Etats, mais bien la responsabilité pénale des individus, bien souvent les dirigeants d’Etat.
Dans le cas qui nous intéresse, les suspects sont Vladimir Poutine, le Président de la Fédération de Russie, et Maria Lvova-Belova, Commissaire aux droits de l’enfant au sein du Cabinet du Président.
Pourquoi spécifiquement la Commissaire aux droits de l’enfants ?
Même si la CPI a voulu marquer un grand coup en s’attaquant à des dirigeants au sommet de l’Etat russe, ce n’est pas l’agression de l’Ukraine elle-même qui est visée par cette enquête, mais un crime de guerre de déportation et de transfert illégal d’enfants.
Plusieurs sources au sein de la communauté internationale, y compris la CPI donc, font état de déportation de près de 20 000 enfants ukrainiens de leur domicile en Ukraine vers la Russie.
Alors que les autorités russes évoquent la protection de ces enfants dans le cadre d’un conflit armé, et donc une action « légitime » au plan du droit international, plusieurs sources convergentes dénoncent le fait que les autorités russes auraient séparé délibérément des enfants de leurs parents et enlevé des enfants dans des orphelinats avant de les placer pour adoption en Russie, ce qui est absolument contraire au droit des conflits armés.
Ce sont ces allégations qui font l’objet de l’enquête de la CPI.
Mais s’il s’agit d’une juridiction internationale, quel est le rôle de l’Union européenne dans cette procédure ?
Sans en être membre elle-même, l’Union européenne soutient largement le travail CPI depuis sa création. Elle a même signé un accord de coopération et d’assistance en 2006 pour institutionnaliser ce partenariat. Au-delà d’un soutien financier à l’action de la CPI, l’Union s’engage à coopérer avec la Cour pour les enquêtes qu’elle mène.
Par exemple, les représentants spéciaux de l’UE déployés dans des opérations de gestion de crise à l’étranger, peuvent transmettre certaines informations utiles pour les enquêtes de la CPI. Ou encore, les délégations de l’Union implantées dans des Etats tiers peuvent être sollicitées par les agents de la CPI pour faciliter leur travail d’enquête sur place.
En quoi la guerre en Ukraine a-t-elle eu un impact sur cette coopération ?
L’Union a adopté, avec le procureur du bureau de la CPI, des lignes directrices visant à guider les autorités des Etats et les organisations de la société civile, dans la collecte et la préservation des informations pouvant servir de preuve. Le but est de guider les personnes sur le terrain sur les techniques efficaces permettant d’établir clairement des faits susceptibles d’être utilisés dans cette procédure (ou dans d’autres procédures susceptibles d’être ouvertes devant des tribunaux nationaux).
Mais l’Union a également mobilisé Eurojust, son agence spécialisée dans la coopération judiciaire, également située à La Haye, et dont les compétences ont été renforcées par un règlement en 2022 justement dans le but d’améliorer la coopération en matière de conservation de preuves relatives aux crimes internationaux.
Mais que peut faire concrètement une agence basée aux Pays-Bas pour des évènements ayant lieu en Ukraine ?
Eurojust peut faciliter les échanges d’informations et de preuves collectées, mais également les mettre à disposition des tribunaux.
Et elle peut assurer la sécurisation, à l’échelle de l’Union européenne, de preuves telles que les images satellites, des photographies, des vidéos et des enregistrements audio, grâce à la création d’une installation de stockage central directement gérée par l’agence. C’est « La base de données sur les preuves de grands crimes internationaux, la « CICED ».
Le jour où cette guerre prend fin, toutes ces preuves seront d’une importance capitale.
Merci beaucoup, Carole Billet, pour ce regard derrière les coulisses du travail des juristes. Je rappelle que vous êtes Maîtresse de Conférences en droit public à Nantes Université.