Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un des membres du collectif de chercheurs réunis dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Romain Foucart, vous êtes Maître des conférences en droit public à l’Université d’Angers, et lors d’un colloque récent, vous avez retracé les origines de la fameuse « Communauté politique européenne » chère au Président Macron.
C’est François Mitterrand qui, dans ses vœux pour l’année 1990, quelques semaines seulement après l’ouverture du Mur de Berlin, souhaitait voir se former une « confédération européenne », réunissant « tous les pays du continent ». Enfin, pas tous. L’appartenance devait être conditionnée à la réunion de certains éléments impératifs tels que l’organisation d’élection libres, l’instauration d’un régime représentatif, la garantie du pluralisme des partis ou la sauvegarde de la liberté d’information.
Selon le Président français, cette organisation devait permettre d’assurer, je cite, «la paix » et la « sécurité » sur le continent européen en renforçant les liens entre les deux anciens « blocs » à la suite de l’écroulement du système soviétique.
Et trente ans plus tard, une initiative similaire sera lancée par un autre Président de la République française en réaction à un autre bouleversement géopolitique majeur !
Effectivement. Il s’agit de la « Communauté politique européenne » formulée par Emmanuel Macron en 2022. Cette communauté est constituée comme une plate-forme de coordination politique pour favoriser le dialogue stratégique entre les États membres de l’Union et le reste du continent. Elle regroupe quarante-quatre États, dont un ancien membre, le Royaume-Uni, des États candidats, comme l’Ukraine, et d’autres, comme l’Azerbaïdjan.
On ne peut s’empêcher de comparer les deux projets, à trente ans d’intervalle, dans la mesure où ils sont portés tous les deux par les présidents français dans un contexte d’interrogation profonde sur la pérennité de la paix sur le continent. François Mitterrand souhaitait arrimer l’ex-bloc communiste, dont la Russie, à la communauté des États démocratique. La CPE vise à renforcer les liens entre les États membres de l’Union et les États du continent qui ne le sont pas.
En d’autres termes : la situation diffère, mais la question fondamentale demeure.
Tout à fait. Les deux projets ont des points communs, à la fois dans leur dimension conceptuelle, dans les objectifs qu’ils poursuivent, et dans leur matérialisation. Ils sont en effet conçus comme des plateformes relativement souples, qui laissent une large place aux discussions informelles pour trouver des positions communes en matière stratégique.
Mais ces deux projets français de « grande Europe » au service de la paix ont aussi des divergences. D’abord, pour ce qui relève des limites géographiques du projet et des relations avec le reste du monde. La Confédération prévoyait d’inclure la Russie. Pas la CPE, qui se construit contre l’agression de Vladimir Poutine à l’égard de l’Ukraine.
La Confédération est par ailleurs vue par les pays d’Europe centrale au début des années 1990 comme un substitut à l’adhésion aux communautés, alors que la CPE prend soin dès son premier sommet d’insister sur le fait qu’elle se déploie en parallèle à l’adhésion, et qu’elle ne vise nullement à la remplacer.
Les divergences entre les deux projets s’observent aussi dans la flexibilité dont leurs promoteurs ont pu faire preuve face aux critiques de leur partenaires. Le projet de CPE a en effet été modifié en profondeur entre le premier projet d’Emmanuel Macron et le premier sommet de la CEP organisé à Prague. D’un projet d’inspiration fortement mitterrandienne structuré autour de valeurs communes, on est passé à une réunion géopolitique qui réunit des États très différents sur le plan des valeurs mais très fortement interdépendants sur le plan stratégique. C’est peut-être pour ça que la CPE existe encore alors que la Confédération n’aura eu un succès, tout relatif, que pendant quelques mois.
Que vous dit cette comparaison entre deux initiatives françaises sur la capacité de la France à entraîner ses voisins ?
En définitive, la comparaison révèle que la conception française d’une « grande Europe » au service de la paix ne semble avoir d’utilité et de viabilité que si elle est amendée par les apports des partenaires européens.
Merci, Romain Foucart, d’avoir partagé vos réflexions sur ces deux projets. Je rappelle que vos êtes Maître des conférences en droit public à l’Université d’Angers.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.