Toutes les semaines, la chronique « L’Europe, le monde, la paix » donne la voix sur euradio à l’un·e des membres du collectif de chercheur·ses réuni·es dans UNIPAIX, le Centre d’Excellence Jean Monnet basé à Nantes Université.
Gabriel Keller, vous êtes ancien ambassadeur de la France en Yougoslavie, auteur de l’ouvrage Vers la guerre au Kosovo, paru aux Editions Fauves. Et vous nous replongez, 25 ans plus tard, dans un de ces moments clés où se décident la guerre et la paix.
Rappelons ce qui s’est passé : en mars 1999, l’OTAN lance, sans l’autorisation du Conseil de Sécurité de l’ONU, une campagne de bombardements sur la République Fédérale de Yougoslavie. Avec des conséquences énormes : de nombreuses victimes civiles, des destructions considérables sur tout le territoire de la Serbie, l’exode de près de 200 000 Serbes qui vivaient jusque-là au Kosovo et l’occupation de cette province par les troupes de l’OTAN. Après plusieurs années de nouvelles négociations infructueuses, les autorités du Kosovo proclameront unilatéralement l’indépendance de la province. Aujourd’hui encore, un quart de siècle plus tard, les tensions demeurent vives dans la région et près d’un tiers des États membres de l’ONU ne reconnaissent pas le Kosovo comme un pays indépendant.
La question mérite donc d’être posée : était-il possible d’éviter un pareil gâchis ? Y avait-il un moyen pacifique de donner satisfaction à l’ensemble de sa population ? Pour répondre, nous procéderons en deux temps : nous examinerons d’abord comment la situation a pu mener à la guerre, puis nous nous interrogerons sur les causes de l’échec des négociations de la dernière chance menées à Rambouillet et Paris en février et mars 1999.
Je crains qu’il nous faille un petit cours d’histoire d’abord.
Effectivement, il nous faut remonter jusqu’à la période de la décomposition de la Yougoslavie de Tito.
Dans cette « grande » Yougoslavie, formée de 6 républiques fédérées (Serbie, Croatie, Bosnie, Herzégovine, Slovénie, Monténégro, Macédoine), le Kosovo était une province autonome à l’intérieur de la République de Serbie, qui jouissait depuis 1974 d’une grande autonomie. Les Serbes, minoritaires – 15% de la population – se plaignaient d’être opprimés par les Albanais au point que Milosevic, le président nationaliste de la Serbie, décida en 1989 de supprimer l’autonomie du Kosovo.
S’ensuit alors une campagne de désobéissance civile menée par la Ligue Démocratique du Kosovo, la LDK, présidée par Ibrahim Rugova et une fracturation profonde de la société.
Et la situation se dégrade progressivement…
En 1996, apparaît une « armée de libération du Kosovo » (UCK), qui reproche à la LDK son pacifisme. Elle multiplie coups de main et attentats contre les autorités et déclenche en 1998 une véritable guérilla : au début de l’été, près du tiers du Kosovo échappe aux autorités. L’armée yougoslave intervient alors massivement et reconquiert le terrain perdu, au prix de pertes civiles et d’importants déplacements de population.
Comment réagissent alors les instances internationales ?
Le Conseil de sécurité de l’ONU vote plusieurs résolutions exigeant l’arrêt des combats, tandis que l’OTAN envoie un ultimatum menaçant la Yougoslavie de bombardements en cas de poursuite des violences.
Une négociation de la dernière chance se tient alors entre Milosevic et l’Américain Richard Holbrooke, qui se conclut par un accord sur la création d’une Mission de l’OSCE dont le but sera de vérifier que les forces serbes respectent leurs engagements de retrait, et de ramener le calme dans la province.
Cette mission remporte au début quelques brefs succès : les personnes déplacées rentrent chez elles, les combats s’apaisent globalement, la négociation semble repartir sur des bases constructives.
Mais les tensions remontent très vite et les incidents se multiplient : le 15 janvier 1999, le massacre de Račak, avec ses 45 victimes, soulève l’indignation de la communauté internationale (malgré les zones d’ombre qui demeurent encore aujourd’hui) et conduit les Occidentaux à exiger l’ouverture rapide de négociations à Rambouillet, dès début février.
Et c’est un échec.
Oui, et les raisons de cet échec feront l’objet d’un deuxième épisode.
Ce qui suit, c’est la campagne de bombardements sur la Serbie, Kosovo inclus, qui commence le 24 mars 1999 et durera jusqu’au 9 juin, date à laquelle est signé l’accord mettant fin au conflit armé. Le lendemain, l’armée yougoslave se retire du Kosovo et l’OTAN y pénètre.
Merci beaucoup, Gabriel Keller, pour ce rappel historique. Dans un deuxième temps, nous procéderons à l’analyse de cet échec de négociations de paix. Je vous dis donc « à la semaine prochaine ».
Entretien réalisé par Laurence Aubron.