Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Nous en parlions dès la semaine dernière, l’Allemagne va connaître un nouveau gouvernement de coalition. Qu’en attendre en matière de construction européenne ?
Comme en 2017, il a été très peu question des enjeux européens pendant la campagne. Pourtant, ces derniers occupent une place relativement importante dans le contrat de coalition. Cela s'explique par plusieurs facteurs.
L’Allemagne est un pays profondément européen. Et les partis qui négociaient pour une coalition, les sociaux-démocrates du SPD menés par Olaf Scholz, les Verts et les libéraux du SPD, sont pro-européens, profondément attachés à la coopération et favorables au multilatéralisme. Après 16 ans de pouvoir d’Angela Merkel à la Chancellerie, dans un contexte d’incertitudes internationales majeures, on attendait beaucoup du passage de témoin à la coalition “feu tricolore”. Mais la question restait ouverte de l’équilibre qui serait construit entre des lignes de divergence parfois claires, par exemple entre les Verts et le FDP, en matière d’ambition budgétaire ou environnementale.
Ce qui surprend bien plus, c’est l’ampleur de l’ambition européenne. Or ce contrat de coalition fixe les orientations en matière de politique publique du gouvernement fédéral pour les quatre prochaines années. Et il n’est pas question que des enjeux européens, institutionnels, eux-mêmes, mais bien d’une irrigation à travers tous les enjeux. Aucun grand défi ne peut être relevé sans l’Union, qu’il s’agisse de climat ou de numérique.
C’est donc un gouvernement résolument pro-européen qui va prendre ses fonctions dans les prochains jours ?
Oui, l’ambition européenne est forte et assumée - un point sans doute notamment appuyé par les Verts. Dont la co-présidente, Annalena Baerbock, sera ministre des Affaires étrangères.
Dès le préambule, il est question d’accroître l’”autonomie stratégique” de l’Union européenne : France et Allemagne parlent le même langage politique. A quelques semaines de la présidence française du Conseil de l’UE, le 1er janvier, c’est une bonne nouvelle pour avancer sur des dossiers majeurs. Pour la France, sur les enjeux climatiques, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ou encore les directives sur les services et les marchés digitaux. Surtout que cette présidence de six mois sera amputée par la période de réserve liée au temps électoral national. Le contrat de coalition a d’ailleurs été accueilli avec intérêt en France !
Avec des enjeux clés pour la coalition “feu tricolore”, en matière d’état de droit par exemple. Ou des débats possibles sur les questions budgétaires, et le pacte de stabilité, sujets traditionnellement conflictuels entre nos deux pays. Certes le ministère fédéral des Finances sera entre les mains de Christian Lindner, le président du FDP, partisan de l’orthodoxie budgétaire, mais les formulations restent relativement ouvertes, au moins à une “simplification”.
La France et l’Allemagne sont donc alignés pour les semaines à venir en matière d’ambition européenne ?
Il est certain que les terrains de discussion et d’entente seront nombreux ! Et heureusement, car l’entente franco-allemande reste une condition sine qua none pour avancer en matière de construction européenne.
Même si les deux partenaires n’avancent jamais complètement au même rythme. Il a même pu être considéré que ce contrat de coalition est la réponse au discours de la Sorbonne d’Emmanuel Macron en… 2017 ! Des députés allemands s’étaient d’ailleurs inquiétés dans une tribune dans Le Monde dès l’automne 2017 de l’absence de réponse allemande sur le fond aux propositions françaises. Toujours est-il que le tandem franco-allemand pourra fonctionner dans les prochaines semaines et prochains mois, sous double présidence française du Conseil de l’UE, et allemande du G7.
Ici, l’ambition du nouveau gouvernement allemand pour une Europe fédérale (terme écrit noir sur blanc) est à certains égards plus forte que l’ambition française. Une approche finalement plus allemande, liée à la constitution d’institutions communes solides. La Conférence sur l’avenir de l’Europe pourrait à présent être « mise à profit pour engager des réformes », voire « modifier les traités ». Les échos aux propositions françaises sont nombreux, par exemple la question des listes transnationales au Parlement européen, ou la volonté nouvelle de construire des coalitions ad hoc pour travailler sur des projets concrets. Mais il est question également d’un Ministre européen des Affaires étrangères, de votes à la majorité qualifiée en matière de politique étrangère… il y aura matière à débattre.
Si rapprochement il y a entre France et Allemagne, il reste donc des pierres d’achoppement ?
C’est sans doute l’un des plus grands enseignements : le travail peut continuer, et même s’amplifier. Certes sur le nucléaire, sur la politique spatiale, sur les exportations, sur l’Europe sociale par exemple, des tensions pourraient surgir. L’Allemagne souhaite en tous les cas une Union européenne “capable d’agir”, “stratégiquement souveraine”, et agir “dans un esprit de service de l’UE dans son ensemble. De quoi être plutôt confiants pour l’avenir.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet