Cette semaine, Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations à l’Institut Open Diplomacy, inaugure sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Aujourd’hui, Marie-Sixte nous explique quel rôle jouent les relations franco-allemandes au sein d’une UE en recherche de souveraineté.
Tout d’abord, de quoi parle-t-on ?
Quand on parle de relations franco-allemandes, on parle avant toute chose de relations de voisinage géographique, mais également du “moteur” ou “couple” franco-allemand, cet effort véritablement historique, mené depuis les années 1950 pour rapprocher, réconcilier deux ennemis héréditaires, et construire une véritable relation d’amitié.
Les relations franco-allemandes, ce sont avant tout des relations humaines : dans les zones transfrontalières et bien au-delà, les échanges sont nombreux, et l’OFAJ - l’Office franco-allemand pour la jeunesse et ses programmes d’échange par exemple y contribuent de manière importante.
Ce sont aussi des relations économiques, des relations culturelles, avec de nombreux échanges et coopérations au fil des ans, qui nourrissent le tissu de chaque société.
Ce sont enfin des relations politiques, renforcées avec le traité d’Aix-la-Chapelle en janvier 2019, et la création de l’Assemblée parlementaire franco-allemande : au-delà des hommes et des femmes, les institutions apportent un cadre pour travailler ensemble et construire des politiques publiques communes.
Pourquoi vouloir renforcer maintenant ces relations franco-allemandes ?
Nous nous trouvons à un tournant stratégique majeur pour l’Europe, en quête de son identité à la fois stratégique, politique, géopolitique. On a construit l’Europe économique, on a besoin de l’Europe politique. Dans cette période de forte vulnérabilité, d’interrogations, où l’on fait encore face aux conséquences du Brexit et du départ du Royaume-Uni, où des interrogations peuvent se faire jour sur l’engagement en faveur des valeurs européennes en Pologne ou en Hongrie, l’unité constitue notre plus grande force, pour faire entendre la voix de 500 millions de citoyens, et peser sur le cours du monde, face à des partenaires comme les Etats-Unis, face à des concurrents comme la Chine.
Quel rôle pour la France et l’Allemagne dans tout cela ?
En France, on parle souvent du “couple” franco-allemand, en Allemagne de “moteur”, mais l’idée est la même : la France et l’Allemagne sont les deux piliers de l’Union européenne, indispensables à sa construction, mais non suffisants - heureusement, il y a de la place pour les 25 autres Etats membres ! Il reste que France et Allemagne ensemble sont capables de donner une impulsion décisive, comme on l’a vu au printemps 2020, lorsque les deux pays ont proposé un plan de relance européen fondé notamment sur un instrument de dette commune. Une révolution au niveau européen.
Le problème vient du timing : les deux éléments du “moteur” franco-allemand risquent d’être grippés pour un certain temps. En Allemagne, les élections fédérales du 26 septembre ont rebattu considérablement les cartes politiques, et l’on sait que la construction d’une coalition, si elle est en cours, nécessitera plusieurs semaines ou plusieurs mois. A contrario le contrat de coalition qui sera établi, quels que soient les partis embarqués, sera fondamental, car juridiquement contraignant pour ces derniers.
Du côté de la France, nous avons un appel d’air formidable avec la Présidence française de l’Union européenne, “PFUE” de son petit nom, mais elle sera tronquée par la campagne présidentielle et la période de réserve gouvernementale, à partir de début avril, en matière de parole et d’action publiques. Il faudra du temps ensuite pour que le gouvernement s’installe, ainsi que l’Assemblée : dans les faits, nous avons presque une année “blanche” pour le couple franco-allemand d’un point de vue politique et géopolitique. Qu’il n’en soit pas ainsi en termes de réflexions, de travaux intellectuels, de coopérations concrètes : l’enjeu n’est plus de visser les boulons, mais de déterminer la route que nous suivons ensemble.
Interview réalisée par Laurence Aubron