Tous les mardis sur euradio, la spécialiste en affaires européennes et relations franco-allemandes Marie-Sixte Imbert analyse et décrypte les derniers événements et enjeux des relations franco-allemandes.
Nous sommes à la veille d’une date qui a marqué l’histoire allemande et européenne récente : le 9 novembre 1989. Pour commencer, que représente cette date particulière ?
Le processus s’est déployé à travers plusieurs mois sinon années, mais la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 symbolise à l’évidence la fin de la Guerre froide. Elle a ouvert la voie à la réunification de l’Allemagne divisée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le 9 novembre a ouvert la voie à l’ancrage de l’Allemagne réunifiée au sein de la construction européenne : ce qui a apaisé les craintes de certains d’un retour de “l’Allemagne éternelle”. La chute du Mur a également permis l’ancrage démocratique de l’ex-Allemagne de l’Est - comme de l’Europe centrale et orientale. Un événement historique et fédérateur, un tournant dans l’histoire récente.
Nous nous étions penchés sur le “jour de l’unité”, la fête nationale allemande, célébrée le 3 octobre. Pourquoi cette date plutôt que le 9 novembre ?
Le 3 octobre 1990, la RDA, la République démocratique allemande, a adhéré à la RFA, la République fédérale. La RDA a en fait adhéré au champ d’application de la Loi fondamentale de la RFA : une liberté “conquise” selon la chancelière Angela Merkel le 3 octobre 2021.
9 novembre 1989 et 3 octobre 1990, ce sont deux repères dans une période de bouleversements profonds. A l’Est bien sûr, avec la démocratie, des libertés nouvelles, la fin d’un mode de vie façonné par l’État et le parti, ou d’une économie planifiée, et les changements politiques, géopolitiques, économiques, sociaux qui s’en sont suivis. A l’Ouest également des bouleversements, avec l’intégration des nouveaux Länder. Le 9 novembre et le 3 octobre, c’est l’ouverture d’une phase d’espoirs inédits, et leur concrétisation mais aussi la confrontation aux difficultés bien réelles de la réunification.
Mais le 9 novembre, au-delà du seul 9 novembre 1989, est un “Schicksaltag” : le “jour du destin”. Car l’histoire allemande a été marquée par différents 9 novembre, entre ombre et lumière. On en retient généralement cinq, cinq tournants : 1848, 1918, 1923, 1938, 1989.
Prenons ces dates une par une. 1848 d’abord : que s’est-il passé le 9 novembre ?
1848 est marquée par le “Printemps des peuples”, vaste mouvement révolutionnaire à travers une grande partie de l’Europe, qui a ébranlé l’ordre conservateur issu du congrès de Vienne de 1815. Au sein de la confédération germanique, la “révolution de mars” a débouché notamment sur le Parlement de Francfort, première assemblée élue, et le vote d’une constitution. Le 9 novembre 1848, ce fut l’exécution par les troupes impériales autrichiennes, lors de la révolution d’octobre à Vienne, de Robert Blum. Ce député était un des leaders du mouvement libéral et national qui avait porté la “révolution de mars”, un des leaders de l’unité républicaine. Avec sa mort et l’écrasement de la révolte, le 9 novembre marqua l’échec de la tentative de modernisation et de démocratisation allemande. Un travail qui a néanmoins ouvert la voie à l’unification de 1871, et inspiré les républiques de 1919 et 1949.
1848, l’échec donc de la démocratisation. À contrario, le 9 novembre 1918 est bien un succès en la matière ?
Ce fut la fin de l’Empire allemand avec l’abdication de l’empereur, et la proclamation de la première République allemande à Berlin. Mais cette date porte aussi en germe les affrontements à venir entre les partisans de la démocratie parlementaire, et ceux du modèle soviétique : deux heures après la proclamation de la “République de Weimar”, le spartakiste Karl Liebknecht proclamait à son tour “la république socialiste libre d’Allemagne”. Avec un paradoxe : la République de Weimar, porteuse d’espoirs de paix et de démocratisation, est née de la défaite de 1918.
Avançons dans le temps : 1923, dans l’entre-deux guerres, un 9 novembre porteur également d’affrontements ?
Ce fut le “putsch de la brasserie” : dans une période de troubles politiques et économiques intenses, la tentative, ratée, de coup de force par Hitler et le NSDAP, avec le soutien du général Ludendorff, contre le gouvernement bavarois et ce que Hitler aurait appelé le “gouvernement des criminels de novembre”. Ce fut ensuite un procès source d’une notoriété nouvelle pour Hitler, et la rédaction de son pamphlet Mein Kampf en prison : ce 9 novembre devint un élément fondateur du IIIe Reich.
Nous arrivons en 1938, sous le régime nazi. Le 9 novembre 1938, une date funeste ?
Ce fut la “Nuit de cristal” ou “Nuit des pogroms”, un tournant dans la politique antisémite du régime nazi. Une série de pogroms organisés par le régime nazi à travers l’Allemagne, l’Autriche et les Sudètes avec un lourd bilan, humain et matériel pour les citoyens juifs. Ce 9 novembre a par ailleurs ouvert la voie à de nouvelles lois antisémites du IIIe Reich. Des pogroms commémorés depuis les années 1970.
Une simple date, le 9 novembre, condense ainsi près de 2 siècles d’histoire allemande, entre ombre et lumière. Une date complexe à commémorer ?
C’est une date à l’image de la complexité de l’histoire allemande récente, entre révolutions, coups de force, barbarie nazie, tournants majeurs, entre crimes, espoirs et libertés. Une date complexe à commémorer, avec des choix parfois faits au profit de telle ou telle date. En 2018, le gouvernement allemand indiquait entretenir “la mémoire de ces événements” qui “mettent le pays devant ses responsabilités”. Le 9 novembre a pu être proposé par certains au début des années 1990 comme fête nationale, mais c’est bien le 3 octobre ou jour de l’unité qui lui fut préféré. Une date moins chargée d’histoires, d’ambivalences, et donc plus univoque.
Chronique réalisée par Laurence Aubron.