Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
Cette semaine encore, l’actualité est marquée par la guerre en Ukraine, le tournant stratégique européen et les sanctions contre la Russie. Avec la possibilité d’inclure les importations d'énergie russe. Pourquoi cette question fait-elle tant débat ?
La guerre en Ukraine, dont nous parlions dès la semaine dernière, continue en effet à provoquer une onde de choc majeure. Je ne parlerai pas ici des enjeux militaires ou humanitaires, mais au plan économique, de l’augmentation du prix des matières premières. Et notamment de celles énergétiques. Car pour se chauffer, pour se déplacer, pour l’électricité, pour produire, nous avons besoin d’énergie, personnes comme entreprises.
Les prix avaient déjà beaucoup augmenté ces derniers mois, sur fond de reprise économique mondiale, comme de tensions avec la Russie. En janvier dernier, gaz, électricité et pétrole ont vu leur prix grimper de près de 67 % en moyenne sur un an en Allemagne selon Destatis, l’institut de statistiques. Ils pèsent d’ailleurs sur l’inflation depuis plusieurs mois. Et ces derniers jours, les prix explosent : celui du baril de pétrole a par exemple frôlé les 120 dollars, un record depuis 2012.
La situation est donc la même pour tous, mais nous ne sommes pas tous armés de la même manière pour y faire face. Quelle est la situation en France et en Allemagne notamment ?
Pour faire fonctionner nos sociétés et nos économies, nous avons besoin d’énergie, d’autant que nous sommes dans une période de reprise. Nous cherchons également à réduire notre empreinte carbone, donc à décarboner nos mix énergétiques. Mais cela demande du temps et des investissements colossaux, ce sont donc des stratégies de moyen et long termes qui peuvent être mises à rude épreuve. Et les économies d’énergie, par exemple la rénovation thermique des bâtiments, demandent aussi du temps.
En France en 2019, les énergies fossiles représentaient près de 49 % de la consommation totale d’énergie, contre plus de 42 % pour le nucléaire, selon Eurostat. L’Allemagne a prévu quant à elle de sortir du nucléaire d’ici fin 2022. Le pays s’appuie pour cela sur les énergies carbonées (notamment le charbon, dont il doit sortir dans l’idéal d’ici 2030, et le gaz, importé à 55 % de Russie), et sur les énergies renouvelables en plein développement.
Pour le dire vite, le nucléaire émet peu de gaz à effet de serre, mais peut poser d’autres questions. Les énergies fossiles produisent du carbone et posent la question de la sécurité d’approvisionnement. Les renouvelables quant à elles permettent de réduire les émissions de carbone, mais exigent pour être produites des métaux rares, sont intermittentes, posent des problèmes de stockage et de transport et coûtent cher. Et elles ne peuvent pas remplacer du jour au lendemain les autres sources d’énergie.
Face à cette dépendance énergétique, le secteur n’a pas été inclus à ce stade dans les sanctions contre la Russie. Pourquoi a contrario le sujet reste-t-il sur la table ?
Oui, le secteur énergétique a été exclu à ce stade des sanctions, qui concernent des entités, des personnalités, la banque centrale et des banques notamment. Si on met de côté bien sûr la suspension du projet de gazoduc Nord Stream 2 par l’Allemagne, projet qui devait augmenter de 40 % les importations russes dans le pays. Pour l’ensemble de l’UE, c’est 40 % du gaz qui est importé de notre voisin. Sans compter le pétrole, ou le charbon.
Le débat n’est cependant pas nouveau. Il avait par exemple déjà eu lieu en 2014 à la suite de l’arrêt de livraisons de gaz russe via l’Ukraine, déjà. Deux mouvements actuels raniment l’actualité de la question. D’une part les menaces, implicites et explicites, d’un arrêt des livraisons russes. D’autre part, en cas de prolongement ou d'aggravation encore de la situation, l’UE pourrait être amenée à adopter de nouvelles sanctions. Y inclure l’énergie représenterait un choc économique et social majeur en Europe. Mais cela toucherait aussi fortement l’économie russe, dépendante des matières premières et du marché européen. Ce serait aussi une manière de marteler la détermination stratégique, géopolitique des Européens.
Pour l’instant il n’y a pas d’unanimité européenne. Que faire en tous les cas pour assurer la sécurité énergétique européenne ?
Effectivement, Olaf Scholz a notamment indiqué ce lundi que les importations d’énergie fossile de Russie sont “essentielles” pour la “vie quotidienne”. Ce n’est pas tant la situation de cet hiver qui inquiète, mais celle d’ici l’hiver prochain.
Sanctions ou pas, arrêt ou pas, les enjeux de la sécurité (portée notamment par la France) et de la transition énergétiques (alors que l’UE se veut un leader climatique) prennent une dimension nouvelle. Dans l’immédiat, plusieurs pistes d’action : tout d’abord prolonger les centrales existantes, à charbon, à gaz ou nucléaires. La France cet automne a quant à elle fait le choix de relancer la filière nucléaire. Également, faire appel à d’autres sources d’approvisionnement : gaz de schiste américain, pétrole et gaz du Maghreb ou du Moyen-Orient. Enfin, à la fois accélérer encore le développement des énergies renouvelables, et des mesures d’économie d’énergie, plus ou moins drastiques. Ce serait alors l’un des intérêts de ce débat sur l’énergie : préparer les sociétés à un choc plus ou moins profond.
Mais n’oublions pas que quel que soit leur objet, des sanctions seules n’ont jamais fonctionné, ce ne sont que des outils au service d’une stratégie.
Marie-Sixte Imbert au micro de Cécile Dauguet