Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
L'agenda européen et franco-allemand de cette semaine est dense. Ce lundi, le 9 mai, c'était à la fois la fête de l'Europe, la clôture de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, et le premier déplacement du second quinquennat d'Emmanuel Macron, en Allemagne.
Un agenda dense, oui, et certainement lié. L'Allemagne et la France sont très proches, chaque pays est le premier partenaire de l'autre. Et pour avancer sur de très nombreux sujets au niveau européen, le couple franco-allemand, ou moteur franco-allemand selon le nom qu'on lui donne d'un côté ou de l'autre du Rhin, reste nécessaire. Pas suffisant bien sûr, il faut des majorités au Conseil, au Parlement européen, des alliances, mais le duo reste nécessaire. Et les dossiers ne manquent pas.
Couple ou moteur franco-allemand, pourquoi une telle différence ?
C'est sans doute lié à une vision quelque peu plus romantique, plus flamboyante, en France des relations franco-allemandes, plus romantique également de la politique en général. En Allemagne, le terme, “moteur”, est plus pragmatique. Mais en réalité, nous avons besoin des deux : à la fois une vision, un objectif, et des outils, des petits ou plus grands pas faits l'un après l'autre pour avancer. L'un ne va pas sans l'autre.
Ce lundi, Emmanuel Macron était à Strasbourg, au Parlement européen, puis à Berlin. Pourquoi un tel agenda ?
Le chemin vers l'Allemagne passe par l'Union européenne. La coopération franco-allemande prend son sens en elle-même, mais aussi, et peut-être surtout, dès les débuts, dans le contexte européen. Finalement, nous avons largement dépassé les enjeux uniquement symboliques de la coopération franco-allemande : elle s'exprime dans tous les domaines, de manière concrète. On peut penser à la liste des 10 projets prioritaires accolée au traité d'Aix-la-Chapelle, "d'intégration", en 2019. Un traité qui renouvelait celui de l'Elysée de 1953, et va plus loin en matière d’objectifs.
Vous parliez de symbole, nous avons donc bien dépassé ce stade dans la relation franco-allemande ?
Oui, depuis longtemps, mais sans doute plus encore ces dernières années. Un exemple : Nicolas Sarkozy, comme François Hollande, se sont rendus le jour même de leur entrée en fonctions à Berlin. Emmanuel Macron s'est certes inscrit dans cette tradition, mais il s'y est rendu quelques jours après, en 2017 comme en 2022.
Et cette année, il était d'abord au Parlement européen, à Strasbourg, pour la clôture de la conférence sur l'avenir de l'Union. Autre exemple : nous avons des instances de coopération entre les gouvernements, mais aussi depuis 2019 l'Assemblée parlementaire franco-allemande, sans compter tous les projets de coopération qui ont vu le jour.
Un déplacement donc à Berlin, après le “serment de Strasbourg”, et un certain nombre de propositions européennes.
Au-delà de la tradition, dans le contexte actuel, aller à Berlin, c'est sans doute montrer l’unité, et aller chercher, très rapidement, des réponses. En 2017, le discours de la Sorbonne fin septembre n'avait pas eu de réponses immédiates - il y avait certes eu la formation, difficile, du nouveau gouvernement allemand. Il a sans doute fallu attendre le plan de relance européen du printemps 2020 face à la pandémie pour avoir une réponse allemande. Aujourd'hui, les urgences sont là, et demandent une réponse rapide. Le temps politique européen s’est considérablement accéléré depuis la crise des dettes souveraines au début des années 2010.
Sur quels enjeux prioritaires de telles réponses sont-elles attendues ?
On pense à la défense, d'autant plus depuis l'invasion russe en Ukraine. L'Allemagne a annoncé un tournant stratégique, qui doit encore prendre toute sa réalité. L'énergie également, où l'Allemagne avance moins vite. Même si elle travaille à réduire sa dépendance, qui était majeure, aux importations russes, et notamment de gaz, et si elle se range à des sanctions.
Un autre sujet majeur mais moins prégnant actuellement : la guerre en Ukraine, à la suite de la pandémie, pourrait faciliter le maintien de la levée des règles budgétaires sur les 3 % de déficit notamment. Il restera à s’assurer de la possibilité même de réinstaurer ces règles dans un contexte économique qui a changé, voire de les réformer.
Et bien sûr les questions institutionnelles, sans doute au cœur des propositions d’Emmanuel Macron à Strasbourg ce lundi.
Les questions institutionnelles, ce sont à la fois un vieux débat et une boîte de Pandore depuis les “non” français et néerlandais au projet de traité constitutionnel en 2005 ?
Certainement, mais que la guerre en Ukraine remet sur le devant de la scène. La question de l’intégration européenne d’un certain nombre de pays se pose en termes nouveaux alors que la Russie semble vouloir recréer des blocs d’influence. La réponse européenne à ces pays ne pourra pas prendre des années. Or ils ne répondent pas pleinement aux critères d’adhésion, et nous n’avons pas les outils pour fonctionner au sein de l’UE avec beaucoup plus d'États membres. Avec une proposition de réponse par Emmanuel Macron : créer la “communauté politique européenne”, un nouvel espace géopolitique.
Attention, on peut faire beaucoup sans changer les traités, bien sûr. Mais pour certaines mesures, c’est nécessaire : le droit d'initiative législative du Parlement, soutenu par la France et l'Allemagne, le passage complet à la règle de l'unanimité au Conseil (la France serait sans doute plus frileuse que l'Allemagne en matière de défense et de sécurité), ou la modification de la Charte des droits fondamentaux. Efficacité, gouvernabilité, mais aussi lien démocratique : pour le moteur franco-allemand, nous avons trois ans et demi de coopération jusqu’aux prochaines élections législatives allemandes de septembre 2025. Le travail ne manquera pas.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron