Chaque semaine, Marie-Sixte Imbert, consultante en affaires publiques et relations européennes, Senior Fellow de l'Institut Open Diplomacy, décrypte sur euradio les relations franco-allemandes et la politique intérieure de l'Allemagne.
Le 8 octobre 2023 se tenaient deux élections régionales en Allemagne, en Bavière et en Hesse. Pourquoi ces deux scrutins étaient majeurs ?
Dans un pays fédéral, les élections régionales revêtent une importance plus grande que l’on pourrait s’y attendre vu de France. Et étant donné le poids démographique de ces deux Länder, ces deux élections régionales ont concerné à elles seules près d’un quart des électeurs allemands, au Centre-Ouest pour la Hesse et au Sud pour la Bavière ! Elles ont même pu être vues comme des élections “de mi-mandat” pour la coalition au pouvoir à Berlin, très impopulaire, avant les prochaines élections législatives de septembre 2025.
Nous parlons élections, ma question est évidemment : quels ont été les résultats ?
Pour résumer, elles ont été un revers pour la coalition des sociaux-démocrates, des Verts et des libéraux au pouvoir à Berlin, et un succès pour l’extrême-droite.
Pour vous donner des chiffres, en Bavière comme en Hesse, c’est la droite des chrétiens-démocrates qui l’a emporté. En Hesse, le SPD du chancelier Olaf Scholz, menés par la Ministre fédérale de l’Intérieur Nancy Faeser, n’a obtenu qu’environ 15 % des voix : le parti est loin derrière la CDU (34,6 %) et l’AfD (18,4 %), et juste devant les Verts. La coalition tripartite au pouvoir à Berlin a perdu dans ce Land plus de 12 points par rapport aux dernières élections de 2018.
La droite bavaroise présidée par Markus Söder, la CSU, a obtenu 37 % des voix. Là encore, les Verts qui ont perdu trois points par rapport à 2018, sont devancés par l’AfD (14,6 %) pour la troisième place. Le SPD n’a obtenu qu’un maigre score, 8,4 % des voix. Le parti arrivé deuxième est un petit parti libéral-conservateur qui n’a d’élus qu’en Bavière : ce sont les Électeurs libres (Freie Wähler), avec 15,8 % des voix - ils ont tout de même progressé de plus de 4 points depuis 2018.
Quelles seront les conséquences pour les partis de la coalition ?
Le SPD a réalisé un très mauvais score : on pouvait s’y attendre en Bavière, traditionnellement de droite, mais en Hesse l’échec est plus rude alors que la ministre fédérale de l’Intérieur espérait reprendre la région à la droite. Olaf Scholz lui avait assuré qu’elle pourrait rester en poste en cas de défaite, mais la question posée est celle de sa capacité politique à continuer à agir à l’échelle fédérale.
Pour les Verts, c’est un échec mais malgré un recul par rapport à 2018, ils ont enregistré des scores historiquement élevés. Et en Hesse, ils pourraient rester dans la coalition régionale avec la CDU.
Pour les libéraux, l’échec est beaucoup plus rude : avec moins de 5 % des voix, ils ne seront tout simplement plus représentés au sein du parlement bavarois, tandis qu’ils se maintiennent de justesse en Hesse. Les derniers revers régionaux les avaient incités à raidir les positions à Berlin et à Bruxelles : ces deux nouveaux revers vont-ils les inciter à persévérer dans cette stratégie, ou au contraire les inciter à plus de compromis pour afficher une nouvelle unité à Berlin et mettre en valeur des avancées ? La question reste ouverte.
Voilà pour la coalition fédérale. Et pour les oppositions ?
En Hesse, la CDU a gagné près de 8 points par rapport à 2018, et en Bavière la CSU a certes enregistré un score historiquement bas pour la région, mais elle continue à la dominer. La coalition au pouvoir y sera certainement reconduite, après une campagne marquée par des accusations d’antisémitisme : Markus Söder ne sort pas renforcé de la séquence, lui qui pourrait vouloir briguer la chancellerie fédérale en 2025. Pour autant, la voix n’est pas libre pour le président de la CDU, Friedrich Merz, alors que la Hesse a donné la victoire à une ligne modérée au sein de la CDU.
Et l’extrême-droite de l’AfD ?
Surtout implanté dans l’ancienne Allemagne de l’Est, le parti a confirmé se développer aussi à l’Ouest. En 2024, trois élections régionales auront d’ailleurs lieu dans l’ex-RDA, qui pourraient donner de très bons scores à l’AfD qui continue à récolter 23 % des intentions de vote dans les sondages. Difficultés politiques à Berlin, difficultés économiques, inquiétudes face à l’avenir… l’AfD capitalise sur cette dynamique.
Alors que la campagne des élections au Parlement européen du 6 au 9 juin 2024 va bientôt s’ouvrir : ces scrutins régionaux au sein de la première puissance économique de l’UE peuvent-ils avoir un impact sur les dynamiques européennes ?
En tous cas, ils confortent à ce stade la place de la droite allemande, dont est issue la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.