Cette semaine, nous retrouvons Marie-Sixte Imbert, directrice des opérations de l’Institut Open Diplomacy, pour sa chronique “Relations franco-allemandes”.
C’est un véritable marathon diplomatique qui a eu lieu à la fin de la semaine dernière, sur fond de guerre en Ukraine. Conseil européen, sommet du G7, sommet extraordinaire de l’Otan en présence du président américain à Bruxelles : nous allons parler aujourd’hui de multilatéralisme. Quel rôle pour les relations franco-allemandes ?
Disons le d’emblée, la France et l’Allemagne sont très attachés au multilatéralisme. Lors des années Trump, comme d’autres, ils se sont d’ailleurs beaucoup inquiétés de la remise en question du multilatéralisme. Et ils ont considéré qu’ils avaient une responsabilité particulière à jouer, en tant que moteur franco-allemand. C’est pourquoi ils ont lancé ensemble l’Alliance du multilatéralisme. C’était en 2019. Et cette alliance informelle rassemble des “pays convaincus qu’un ordre multilatéral fondé sur le respect du droit international est la seule garantie fiable pour la stabilité internationale et la paix et que les défis auxquels nous faisons face ne peuvent être résolus que grâce à la coopération”.
Avant d’aller plus loin, qu’est-ce que c’est, le “multilatéralisme” ?
C’est un outil et un processus de régulation des rapports entre les Etats. Le multilatéralisme se fonde sur l’idée que les Etats sont égaux en termes de souveraineté, sur le dialogue, la négociation, la réciprocité, la coordination. Ce processus permet dès lors la création d’un ordre international, et de normes qui gouvernent les relations entre les Etats, pour peu, bien sûr, qu’ils les acceptent.
Le positionnement de la France et de l’Allemagne est-il identique en matière de multilatéralisme ?
Non, pas tout à fait, même si les deux se présentent comme des fers de lance du multilatéralisme. L’Allemagne se conçoit fondamentalement comme une puissance civile multilatérale. Le pays est pacifique, avec une grille de lecture économique des enjeux internationaux - même si face à la guerre en Ukraine un véritable tournant stratégique a eu lieu, nous en avons déjà parlé, et nous y reviendrons certainement. Ce sont d’ailleurs cet attachement au multilatéralisme, cette primauté donnée à l’inclusion la plus large possible, qui ont permis à l’Allemagne de retrouver une place de choix sur la scène internationale après la Seconde Guerre mondiale.
La France est quant à elle perçue comme plus volontariste. Et parfois comme un pays arrogant, moins attaché au principe d’inclusion. Une remarque à la Maison Heinrich Heine m’a particulièrement frappée, tant elle est vrai : pour l’Allemagne, le fait même que la défense européenne se fasse ensemble la rassure. La France a moins de scrupules, au niveau européen comme multilatéral.
Pourriez-vous nous donner un exemple de cette différence d’approches ?
Dans un contexte un peu différent, rappelons-nous le lancement de la “coopération structurée permanente”, en 2017. Cette CSP est une composante de la politique de défense européenne.
Beaucoup d’encre a coulé lors de son lancement. Parmi les nombreux enjeux, il y avait celui du format : réunir un petit groupe d’Etats, militairement capables d’agir et politiquement volontaires pour passer à l’action, ou rassembler le plus grand nombre possible pour créer une dynamique. Avec 25 membres, c’est cette dernière option qui a été choisie. Et elle correspond davantage à la vision allemande. On a donc privilégié les avantages en termes de construction européenne, de processus, au résultat en termes d’efficacité immédiate. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de résultats, mais ils seront moins rapides et il ne faudra pas être trop ambitieux.
Entre pays proches, aux enjeux diplomatiques forts, l’enjeu est donc celui de la compréhension et de la coordination.
Oui, d’autant plus alors que la France préside ce semestre le Conseil de l’Union européenne, et l’Allemagne le G7. Le premier rassemble les ministres des Etats membres par champ d’activité. Tandis que le G7 rassemble les sept démocraties les plus industrialisées. La guerre en Ukraine et les sanctions, européennes et occidentales, contre la Russie ont encore renforcé l’importance de cette coordination : afin de s’assurer d’une mise en œuvre efficace. D’autant que ces deux présidences, PFUE et G7, ont des ambitions fortes. Côté G7, c’est ”agir de manière résolue au lieu de se contenter d’agir”. Côté PFUE, c’est “relance, puissance, appartenance”, sur fond de débats renouvelés sur l’autonomie stratégique.
Pourquoi finalement promouvoir le multilatéralisme ?
Un exemple : lorsque France et Allemagne ont pour la première fois coordonné leurs présidences respectives du Conseil de sécurité des Nations unies. C’était en mars-avril 2019, et un tandem historique. La démarche visait notamment à améliorer l’efficacité des méthodes de travail du Conseil.
Face à l’ampleur des défis, environnemental, numérique, sanitaire, la guerre en Ukraine, les menaces contre l’ordre international, la coordination est nécessaire. Pour peser sur la scène internationale, pour renforcer l’efficacité des processus de décision et des politiques. C’est sans doute le sens de l’agenda diplomatique resserré de la semaine dernière, dont vous parliez, Laurence. Écouter, comprendre les positions pour apporter de la cohérence, se coordonner et se soutenir pour répondre d’une seule voix, d’autant plus forte.
En matière de relations franco-allemandes, le jumelage des présidences du Conseil de sécurité en 2019 le montre bien. Le moteur, le couple franco-allemand tire sa force du poids de chaque partenaire et de leur coopération, et il est ouvert sur l’Union européenne et la scène internationale.
Marie-Sixte Imbert au micro de Laurence Aubron