Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
La COP climat bat son plein. Il y a un sujet, selon vous Sophie Lemaître, qui ne fait pas suffisamment partie de la conversation. Quel est-il ?
La corruption. La corruption est non seulement une cause mais aussi un facteur aggravant du changement climatique. Dans l’émission du jeudi 24 & 31 octobre, on a vu que la corruption facilite la déforestation et l’exploitation illégale des forêts, ce qui a un impact sur le climat. Des entreprises pétrolières et gazières obtiennent des permis grâce à la corruption et peuvent continuer à exploiter les richesses du sous-sol alors que nous devrions sortir des énergies fossiles. Là encore, cela impacte le climat. Et puis la corruption peut aussi nuire aux efforts pour contrer le changement climatique. C’est ce qu’on appelle les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.
Qu’est-ce qui fait que les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique sont vulnérables à la corruption ?
Tout d’abord, le volume d’argent en jeu. Ce sont des centaines de milliards de dollars qui vont être mobilisés pour financer des projets d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Cela va nécessairement aiguiser les appétits d’acteurs peu scrupuleux, prêts à s’enrichir à tout prix au détriment de l’intérêt général. Ensuite, il y a urgence à agir et donc il y a une pression pour dépenser rapidement l’argent et obtenir des résultats. Ce qui veut dire que l’on va dévier des procédures normales et donc il y aura des abus. Autre raison : la technicité des mesures pour contrer le changement climatique fait qu’il sera facile pour ceux en charge de les mettre en place de dissimuler des pratiques illicites.
A quoi peut ressembler cette corruption ?
La corruption en lien avec le climat prend plusieurs formes comme les pots-de-vin, le trafic d’influence, le détournement d’argent, un lobbying disproportionné. Et ça va même au-delà pour inclure des pratiques comme la fraude, le blanchiment d’argent, l’entente entre des entreprises, etc. Une pratique toute bête consiste à détourner les financements dédiés à des projets d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Au Bangladesh, par exemple, entre 2018 et 2020, 35% des fonds liés à des projets climatiques ont été détournés. Soit un montant de 8 millions de dollars qui a disparu. Et si l’argent est détourné alors il n’y aura pas de constructions de parcs solaires ni de reforestation. Autre exemple : des projets pour construire des abris d’urgence, pour installer des protections sur les côtes ou encore pour créer un parc éolien vont être attribués à des entreprises proches des personnes au pouvoir.
Les possibilités de corruption sont donc légion.
Oui et d’ailleurs Transparency International a créé un atlas accessible en ligne qui recense les affaires de corruption en lien avec le climat. Je vous invite à y jeter un œil. On le voit bien : toutes ces formes de corruption ne peuvent qu’avoir des conséquences désastreuses pour l’environnement, la biodiversité et les êtres humains.
Quel rôle peut jouer la COP climat ?
La corruption ne devrait pas être un tabou. C’est un phénomène courant, commun, qui touche tous les pays. Les États devraient donc s’emparer de ce problème au lieu de faire comme s’il n’existait pas et l’intégrer dans les négociations. Les États doivent adopter des mesures qui prennent en compte la menace que la corruption fait peser non seulement sur le changement climatique mais aussi sur les efforts réalisés pour contrer le changement climatique. Exiger la transparence en publiant des informations sur la manière dont les fonds sont utilisés serait déjà une première étape.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
Transparency International, Climate and corruption atlas – lessons from real-world cases (2024)
Transparency International, Climate and corruption atlas
Podcast, Hors-série #2 Corruption et changement climatique (2023)
UNODC, Addressing Corruption Risks to Safeguard the Response to Climate Change – discussion draft II (2024)