Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Les dernières COP climat ont été accusées d’être sous l’influence de l’industrie des énergies fossiles. Comment cette influence se manifeste-t-elle ?
Et bien, les ONGs reprochent par exemple la proximité des présidents des COPs climat avec l’industrie des énergies fossiles. L’année dernière, le président de la COP 28 qui s’est tenue aux Emirats arabes unis était le PDG de l’entreprise pétrolière ADNOC. Il aurait profité des différentes réunions de la COP 28 pour tenter de négocier une vingtaine de contrats pétroliers. Cette approche semble faire des émules. Mukhtar Babayev, le président de la COP 29, est ministre de l’Écologie mais il a travaillé pendant 20 ans au sein de SOCAR, l’entreprise d’état pétrolière. SOCAR fait partie du comité d’organisation de la COP et Mukhtar Babayev, le président de la COP, siège au sein du conseil de supervision de SOCAR. On baigne en plein dans les conflits d’intérêt. Alors, même si la présidence de la COP climat ne prend pas de décisions, son rôle est essentiel avant et pendant la COP pour que les Etats adoptent des mesures à la hauteur des enjeux. La COP climat ne devrait pas servir des intérêts privés et certainement pas à conclure des contrats pétroliers ou gaziers.
Cette influence va au-delà de la présidence des COP. L’industrie des énergies fossiles est également fortement représentée. Dans quelle proportion ?
En 2021 à la COP 26 au Royaume-Uni, il y avait 503 représentants des énergies fossiles. Pendant la COP 28 en 2023, au moins 2 456 lobbyistes ont été accrédités. C’est 5 fois plus qu’en 2021 ! Il faut savoir que seules les agences de l’ONU, les organisations intergouvernementales et les ONG qui ont le statut d'observateurs au sein de l’ONU peuvent s'inscrire. On ne devrait donc pas avoir de représentants des énergies fossiles dans les COP climat.
Mais alors comment s’est possible ?
Et bien, certains sont intégrés aux délégations étatiques. Par exemple, pour la COP 28, la France a invité dans sa délégation des représentants de TotalEnergies et d’EDF. Au total, 29 pays avaient des lobbyistes des énergies fossiles au sein de leurs délégations. Au niveau européen, la Commission européenne et les Etats membres avaient invité 132 lobbyistes. Cela leur donne un accès privilégié aux négociations que les ONGs environnementales n’ont pas. Et puis, pour ceux qui ne feraient pas partie des délégations, ils peuvent être accrédités au sein d’associations du secteur privé mais aussi et plus surprenant d’ONGs.
D’ONGs ?
Oui, Le Monde a révélé que TotalEergies avait par exemple fait accréditer quatre de ses employés par une pseudo-ONG environnementale allemande, International Climate Dialogue e. V. (ICD) pour assister à la COP 27 en 2022. En fait, ICD est lié à Perspective Climate Group qui compte parmi ses clients plusieurs entreprises des énergies fossiles. Comme le système d’accréditation pour participer aux COP climat manque de transparence, il est difficile de savoir à quel point cette pratique est répandue.
Cette présence des lobbys des énergies fossiles ne peut pas être sans conséquences.
Non, en effet mais c’est extrêmement difficile d’estimer à quel point leur présence impacte le résultat des négociations. Mais quand on voit les faibles progrès que l’on fait chaque année, on se doute bien que leur présence n’aide pas. Et puis, c’est souvent bien après que l’on découvre l’impact de ce lobbying. Par exemple, on a appris que le cabinet de conseil McKinsey & Company se serait servi de sa position de conseiller clé au sein des négociations de la COP 28 pour promouvoir les intérêts de ses clients du secteur pétrolier et gazier.
L’ONU prend-elle la mesure de cette influence ?
Oui et non. Chaque COP a chaque année son lot de révélations et de situations de conflits d’intérêts. Et cette année, on ne va pas y échapper. Les ONGs se mobilisent pour que le système d’accréditation soit réformé et pour que des règles pour limiter les conflits d’intérêts soient mises en place mais pour l’instant l’éléphant ONU n’avant pas très vite sur ce sujet. Mais il ne faut pas relâcher la pression. Il faut continuer à exiger plus de transparence et à demander des comptes. L’avenir de notre planète en dépend.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- BBC, UAE planned to use COP28 climate talks to make oil deals (2023)
- Global Witness, New investigation reveals how the COP28 President used role to pursue oil and gas deals (2024)
- Transparency International, COP29: Another alarming conflict of interest (2024)
- Transparency International, COP Co-opted? How corruption and undue influence threaten multilateral climate action (2024)
- Corporate Europe Observatory, Record number of fossil fuel lobbyists granted access to COP28 climate talks (2023)
- Le Monde, Des employés de TotalEnergies infiltrés à la COP par une pseudo-ONG environnementale (2023)
- France 24, McKinsey & Company pushes fossil fuel interests as advisor to UN climate talks, whistleblowers say (2023)