Chaque semaine, retrouvez Sophie Lemaître, Docteure en droit, experte des questions de corruption et d’environnement, pour comprendre comment la corruption et les crimes liés à l’environnement mettent en danger notre planète.
Après la COP29 sur le climat en Azerbaïdjan, les Etats se sont rendus en Corée du Sud pour négocier un traité international pour mettre fin à la pollution plastique. La production du plastique a des effets néfastes pour l’environnement, la santé et le climat. Mais, Sophie Lemaître, ce n’est pas le seul problème.
En effet. Cette production de plastique génère énormément de déchets comme les emballages de produits laitiers, de café, d’eau, etc. Les déchets plastiques, c’est plus de 350 millions de tonnes par an au monde. Et ces déchets, il faut bien les traiter. Et cela peut paraître étonnant mais la gestion des déchets plastiques est un terreau fertile pour les activités criminelles et le crime organisé. Pourquoi ? Parce qu’avec le traitement des déchets et le recyclage, il y a énormément d’argent à la clé. Le marché mondial du plastique recyclé c’est plusieurs milliards de dollars chaque année.
A quoi ressemble ces activités illégales ?
Un classique que l’on voit en France et dans d’autres pays européens ce sont par exemple les incinérations illégales. Les déchets plastiques sont aussi abandonnés dans des zones non autorisées ou dans des terrains vagues. Mais il y a aussi un important trafic de déchets plastiques au niveau mondial avec le transport illégal de centaines de milliers de tonnes de déchets notamment européens vers des pays en développement, en particulier vers l’Asie comme la Malaisie ou l’Indonésie mais aussi en Afrique.
Quelles sont les méthodes utilisées pour ce trafic de déchets mondial ?
Il y en plusieurs. De fausses déclarations vont être faites en indiquant par exemple qu’il s’agit de plastique vierge et non de déchets. Des déchets vont être cachés derrière du plastique propre. Le pays d’origine des déchets ou de destination va être dissimulé par exemple en s’arrêtant dans des pays de transit. Des sociétés écran vont être créées. Et puis la corruption joue un rôle important. Des pots-de-vin vont être versés aux douaniers pour autoriser l’entrée des cargaisons ou encore à des fonctionnaires pour qu’ils délivrent les documents nécessaires. Une fois ces déchets arrivés en Asie ou en Afrique, il est extrêmement difficile pour ces pays de les renvoyer vers leur destination d’origine du fait de toutes ces dissimulations. Le terme de « colonialisme des déchets » est d’ailleurs utilisé pour parler de ces transferts de déchets des pays du Nord vers le Sud.
Vous disiez que le crime organisé était impliqué dans le traitement des déchets plastiques. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La présence du crime organisé dans le secteur des déchets n’est pas nouvelle. Déjà dans les années 80, la mafia italienne était bien implantée dans ce secteur. Pour ce qui est spécifiquement des déchets plastiques, le crime organisé utilise des entreprises qui ont pignon sur rue, qui servent de couverture pour s’engager dans des activités illégales. Le crime organisé est impliqué à différents stades de la gestion des déchets dans plusieurs pays, ce qui leur permet de passer sous les radars.
Pourriez-vous nous donner un exemple ?
En 2019, Europol a lancé l’opération Green Tuscany avec les autorités italiennes et slovènes pour démanteler un réseau de trafic de déchets plastiques d’Italie vers la Chine via la Slovénie. Des entreprises slovènes fournissaient à des entreprises italiennes de faux documents attestant que les déchets avaient été recyclés. Les cargaisons étaient ensuite envoyées en Chine. A la suite de cette opération, 96 personnes ont été poursuivies. Chacune était responsable d’une étape spécifique dans le trafic de déchets et certaines de ces personnes avaient des liens avec la mafia italienne la Camorra.
Des législations encadrent le traitement des déchets. Comment cela se fait-il qu’il y ait autant d’activités illégales ?
Des réglementations ont effectivement été adoptées mais elles varient en fonction des pays, ce qui ouvre des brèches dans lesquels des acteurs peu scrupuleux s’engouffrent. Ensuite, tracer les déchets est difficile surtout lorsque de faux documents sont produits. Le secteur de la gestion des déchets est également opaque. Dernier élément, les contrôles ne sont pas suffisants et les sanctions sont assez faibles. Du coup, la gestion des déchets plastiques continue d’être un secteur rentable et peu risqué.
Une interview réalisée par Laurence Aubron.
Sources :
- Reporterre, Comment nos déchets plastiques se retrouvent illégalement en Malaisie (2024)
- Interpol, Emerging criminal trendsin the global plastic waste market since January 2018 (2020)
- Europol, Trash worth millions of euros (2019)
- UNODC, Cash in the trash – the role of corruption, organized crime and money laundering in waste trafficking (2024)
- GITOC, Plastic for profit – tracing illicit plastic waste flows, supply chain and actors (2021)
- EIA, Dirty deals- Part two – evidencing illegalities in the global plastic waste trade (2024)