Une fois par mois, Alexandra Fresse-Eliazord décrypte les mots de l’actualité pour nous faire prendre un peu de recul sur le vocabulaire employé par les personnes publiques, les responsables politiques, les journalistes ou les entrepreneur.es.
Vous avez envie de nous parler d’image et d’humour aujourd’hui…
On dit parfois qu’une image vaut mille mots, et pourtant, les mots aussi sont des images. Et parfois le choix d’un seul mot imagé donne au propos une force de suggestion qui renforce le message.
Par exemple ?
Pour commencer léger, je vous livre un de mes sourires à la lecture du journal Ouest-France, au milieu de l’été, un article nous apprenait qu’il était, je cite, « difficile de trouver un créneau » pour passer son permis de conduire.
Humour volontaire je suppose, puisque le créneau, quand on apprend à conduire, est réputé pour être la plus terrible des épreuves.
Et donc, vous vous êtes arrêtée sur ce mot créneau…
C’est un mot qui, à l’origine est architectural, c’est la dentelure des murailles, mais nous l’utilisons, avec cette notion d’intervalle vide entre deux pleins, dans de nombreux contextes, et, pourquoi pas, avec d’autres images associées.
Comme c’est aussi, d’un point de vue pratique, l’ouverture dans un mur qui permet de tirer sur l'assaillant, depuis les château-fort, on peut donc dire que l’on « monte au créneau » assez facilement, et notamment à l’Assemblée nationale pour tirer à boulets rouges sur les adversaires politiques. Le Cepremap (CEntre Pour la Recherche EconoMique et ses Applications) nous apprend d’ailleurs que ces 20 dernières années, le registre de l’émotion a pris une grande importance, et principalement l’émotion de la colère, le nombre de discours dans ce registre a plus que doublé, avec des interruptions également qui fusent de plus en plus fréquemment.
On a ici le vocabulaire du combat…
Tous les créneaux ne sont pas guerriers, ainsi, un créneau dans une grille de programme est devenu une tranche-horaire, ça peut vous faire penser selon la saison soit à un perrier tranche soit à une tranche de pain grillé ;
Un bon créneau pour quelqu’un qui veut développer une activité innovante, voire disruptive, est aussi appelée une niche… qui dans le sens originel n’est pas la maison du chien, mais une cavité dans un mur pour y mettre une statue. L’architecture encore…
Et pour enregistrer cette chronique, nous avons dû trouver un créneau !
Oui, il y a bien sûr, le fameux créneau dans notre agenda, qui reste parfois difficile à trouver, tandis que d’autres agendas, les agendas des commandes par exemple se vident, eux ; et c’est le cas dans l’industrie automobile, où Stellantis en vient à mettre à l’arrêt plusieurs sites en Europe, libérant alors plus que quelques créneaux dans les emplois de temps de ses ouvriers, employés, le mot consacré étant : de ses collaborateurs. Qui ne collaborent, en vrai, à rien du tout, ils ne font là que subir les répercussions d’une double crise, économique et écologique, notamment dans le secteur de l’automobile.
Et ce mot, répercussions, m’amène à vous livrer le même genre de jeu de mot que j’ai croisé cette fois à la toute fin de l’été.
Dans quel média ?
Plusieurs médias écrits reprenaient une dépêche de l’AFP du 18 septembre où l’on peut lire : « Oscillant entre déluge et sécheresse, le cycle de l'eau est "de plus en plus perturbé et extrême", avec des répercussions en cascade sur les sociétés », c’est une alerte de l'Organisation météorologique mondiale (OMM), une institution de l'ONU. Le mot « cascade » n’est pas le mot officiel de l’OMM, qui parlait des répercussions « sur de nombreux secteurs. » Il y a donc un ou une journaliste à l’AFP qui tente de traduire de manière imagée ce qu’il ou elle perçoit, peut-être aussi pour nous arracher un sourire dans le flux de l’information…
J’ai commencé cette première chronique de l’année avec un créneau « sourire », je termine donc avec l’eau, juste pour la chute,
D’eau…
bien sûr.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.