Chaque mois, retrouvez Pierre Maus dans l’émission Colonne Verbale, une sélection musicale douée de parole. Réalités infimes et fictions dérisoires s’entremêlent à des morceaux oscillant entre electro, groove et jazz.
Tracklist :
Magic In Threes – Push the Rock
Sai Galaxy feat. Vanessa Baker – Get It as You Move
Geoffrey Landers – Breedlove
Tabou Combo Superstars – Ooh La La (Jura Soundsystem Edit)
The Green Door All-Stars – Come With Me
Mauskovic Dance Band – Face
Animal Magic – Get It Right
Local Artist - Touch Tone
Devon Rexi – Sjizma
New Fries - Lily
Ayant hérité au cours des années de divers bracelets, alliances chaines et médailles d’aïeux dont il ne connaissait quasiment rien et qui ne l’intéressaient pas plus que cela, Arnaud décida un jour de recycler ces bijoux.
L’or devait représenter la permanence d’un passage sur Terre, la transmission d’une histoire personnelle, le souvenir d’une identité ? Il le fondrait en quelque chose de nouveau qui l’accompagnerait dans son propre cheminement ici-bas, et il espérait bien qu’on en ferait autant après lui.
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Parce que ses initiales correspondaient au symbole de l’or dans le tableau périodique des éléments et que son année de naissance coïncidait à son numéro atomique, Arnaud décida de faire réaliser une chevalière en or reproduisant ces deux informations : « Au 79 ».
Symbolisant à la fois la singularité de sa personne (initiales et année de naissance) et la neutralité factuelle de la matière le composant, cet objet devait incarner la notion de dualité qui, a 40 ans passés, lui semblait caractériser toute chose.
De sorte que si Arnaud devait un jour perdre son bijou, celui-ci demeurait pertinent au doigt de son inventeur, basculant automatiquement d’une signification à une autre, dissociée de sa personne.
Qu’il en soit ainsi.
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Quelques recherches permirent à Arnaud d’identifier un joaillier spécialiste des chevalières armoriées, qui accepta sa commande malgré, et en raison de sa singularité.
Le professionnel le conseilla dans la forme (tonneau), et dans la conception du plateau : il prit d’ailleurs un malin plaisir à déjouer les codes habituels en la matière, en proposant une gravure latérale des lettres et chiffres, dans l’idée de les exposer en premier lieu à la vue de son détenteur, lorsqu’il consulterait sa montre par exemple, et de prolonger par là-même l’idée d’une neutralité de l’objet vis-à-vis de l’extérieur.
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Quelques semaines plus tard, Arnaud récupéra sa commande chez le joaillier.
Passant la chevalière à son annulaire gauche, il fut frappé, au passage de la deuxième articulation, par la sensation d’une solidité quasi hostile de la bague, comme si par sa dureté, le bloc de métal dominait la matière vulnérable de son doigt ; et il éprouva comme jamais auparavant le sentiment de sa condition d’humain.
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Arnaud fit de sa chevalière le repère à partir duquel il mesurerait l’emprunte des années sur son corps.
Il savait qu’avec le temps le bijou ne connaîtrait qu’une usure très limitée, quasi imperceptible et tout cas sans commune mesure avec celle que subiraient ses poignets, ses doigts, la peau de ses mains, qui ne manqueraient pas de s’amaigrir, se rabougrir et se couvrir de tâches.
Paradoxalement, cette idée le rassurait : ce n’était pas sa chair qui serait le support d’un métal froid, mais la bague qui serait le faire-valoir de son humanité.
Épisode réalisé par Pierre Maus.
