Une chronique de Christine Le Brun, Leader Smart Cities & Places chez Onepoint, où nous parlerons de villes, d’outils et de technologies numériques, de données, mais aussi des citoyens et de ceux qui font les villes.
Bonjour Christine. La semaine dernière, vous nous avez expliqué que le concept de ville intelligente reposait sur la mise en œuvre de nombreuses technologies numériques comme les capteurs ou les réseaux de communication. Aujourd’hui vous souhaitez y apporter une nuance et différencier ville connectée et ville intelligente.
Tout à fait Laurence, car c’est un point absolument essentiel. Rappelez-vous, le concept de ville intelligente repose en grande partie sur le recueil et l’utilisation de données, le but étant de permettre plus d’efficacité, d’aider au pilotage, ou encore de rendre de nouveaux services aux usagers. Pour cela, la donnée doit être captée, en particulier en ce qui concerne les infrastructures, ou l’environnement. Et l’arrivée des réseaux sans fil a ouvert un champ des possibles très large.
Ce sont donc ces réseaux sans fil qui ont changé les choses et permis de créer des villes plus connectées ?
Oui c’est tout à fait cela. Quand on dit que nous sommes tous de plus en plus connectés, c’est parce que nous avons accès en permanence à un réseau et aux ressources qu’il contient. Au départ cela passait par un câble relié à un ordinateur, et puis tout est devenu mobile et accessible via un smartphone. Et bien, dans la ville c’est la même chose. Au départ, pour remonter une information, par exemple une mesure de la qualité de l’air, on posait un capteur mais il fallait un fil pour transmettre l’information. C’était quand même compliqué dans pas mal de situations. C’est comme quand vous faites des travaux dans votre maison et que vous voulez déplacer un interrupteur : il faut tirer le fil, traverser les murs, bref ce n’est pas si simple.
Je comprends. Et donc le passage au sans fil a permis de simplifier tout cela ?
En effet. Grâce à des technologies de communication comme Sigfox ou Lora, on a pu commencer à remonter très facilement (sans installer de fil donc), une information sur l’état d’un objet ou d’une grandeur physique. En installant tout un tas de capteurs, on peut ainsi récupérer des informations sur la température de l’air, le niveau de pollution ou celui de bruit, mais aussi l’humidité des sols, le nombre de voitures, de piétons… etc. La liste est infinie, et on se retrouve face à une possibilité sans précédent d’instrumenter la ville, avec des promesses de mieux la connaitre, et donc de mieux la contrôler.
C’est donc à partir de là que sont apparus les premiers projets de ville intelligente. Comment sont nés ces projets ?
Le premier mouvement, que certains décrivent comme la Smart City 1.0, a été d’intégrer un maximum de ces technologies dans la ville. Et ce mouvement a bien sur été largement poussé par les industriels du secteur qui cherchaient à placer leurs produits et à démontrer la faisabilité et l’utilité du concept. Mais les projets n’étaient pas toujours motivés par des bénéfices prouvés pour la ville ou pour les citoyens.
Est-ce que vous voulez dire que ce n’était pas très intelligent ?
En tant qu’ingénieur de formation, je dois avouer que d’un point de vue intellectuel c’était vraiment très intéressant. D’ailleurs, cela a suscité beaucoup d’enthousiasme, car on était dans l’innovation et sur un domaine nouveau, mais … cela ne s’est pas toujours montré utile. A quoi sert de collecter des quantités astronomiques de données climatiques partout dans la ville si on n’en fait rien, si l’on n’est pas capable de les corréler avec des données de santé, de gestion des espaces verts, etc ?
J’espère donc que les choses ont évolué et qu’on réfléchit maintenant à l’utilité réelle des projets ?
Alors, dans un second temps, les villes ont donc repris le contrôle du sujet et leurs dirigeants ont cherché à monter des programmes dont l’objectif était de piloter la ville plus efficacement, et aussi de mieux planifier. C’était très opérationnel. Cependant dans cette phase, ni les citoyens, ni les organisations présentes sur le territoire n’étaient prises en compte, du moins pas systématiquement. Les caméras de videoprotection, par exemple, ont été très critiquées (et le sont toujours). Il y a même eu des levées de bouclier comme à Toronto en 2020, qui a abandonné son projet Smart City qui suscitait de grandes inquiétudes à cause de la grande quantité de données collectée par Google, et du manque de transparence sur ce qu’ils en faisaient.
Et donc aujourd’hui, dans les projets sur lesquels vous travaillez, est ce que vous constatez des approches différentes ?
Aujourd’hui, pour éviter ce genre de rétropédalage qui est toujours douloureux, on essaye d’intégrer l’ensemble des parties à un projet. On favorise la co-construction en impliquant les décideurs, les fournisseurs, et la population au sens large. Cela permet de réfléchir ensemble aux usages, aux bénéfices pour les uns et les autres et de les confronter. On essaye de se poser les bonnes questions avant de se lancer dans un déploiement. On explore aussi la question de l’usage de la technologie au bon niveau, parce qu’il n’y a pas toujours besoin de faire hyper pointu, hyper technologique pour rendre un bon service public. En résumé, on essaye d’être intelligent parce que c’est utile et pas parce que c’est intéressant d’un point de vue technique !
Une interview réalisée par Laurence Aubron.