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Investissements technologiques dans l’Europe de la Défense : anticipons et investissons en Européens

Photo de Aseem Borkar - Pexels Investissements technologiques dans l’Europe de la Défense : anticipons et investissons en Européens
Photo de Aseem Borkar - Pexels

Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.

Aujourd’hui, nous allons voir plus précisément ensemble ce qui nous attend en matière de technologies dédiées à l’essor de l’Europe de la Défense.

Oui Laurence, il est de nouveau temps de parler d’Europe de la Défense car notre Haute-Représentante aux Affaires Étrangères, la bien nommée Kaja Kallas, a dévoilé mercredi sa stratégie pour “l’Union de la Préparation” - concept étonnant -, dont l’objectif est effectivement de préparer les Européens à l’éventualité d’une guerre sur le continent.



Merci Kaja Kallas ! Pourquoi voulez-vous nous parler de cette stratégie, Victor Warhem ?

Eh bien tout simplement parce que j’ai été surpris d’y voir fait mention de la nécessité d’investissements communs “à double usage”, c’est à dire civil et militaire, afin d’améliorer le niveau de préparation du continent.

Après la présentation formelle du Livre Blanc sur l’avenir de la défense le 19 mars dernier, qui identifiait notamment les “trous à combler” en matière de capacités militaires conjointes, voici un nouveau document qui insiste sur le besoin d’investir ensemble sur des technologies stratégiques à impact militaire.

De quelles technologies parlons-nous ici ?

Du côté de la stratégie pour l’Union de la Préparation, il est question d’accélérer sur les technologies qui permettront d’améliorer la sécurité des communications et la connectivité, la sécurité maritime, les capacités de cybersécurité défensives ou encore le spatial. Ceci revient à bâtir des “infrastructures à double usage”, qui assureront donc une résilience du continent en cas de conflit.

Et pour le Livre Blanc, Victor Warhem ?

Alors, le Livre Blanc se penche davantage sur les technologies qui assureront à l’Union européenne une force de dissuasion décourageant de potentiels agresseurs.

Ainsi, la Commission incite les Européens à développer des programmes communs dans les systèmes de défense anti-aériens, les systèmes d’artillerie, les munitions et missiles, les drones et “contre-drones”, la mobilité militaire – ce qui rejoint ici la stratégie de l’Union de la Préparation -, les capacités cyber-offensives ciblées, l’IA militaire, ou encore le chiffrement et les senseurs quantiques.

L’Europe encourage les États Membres à utiliser les dépenses de défense à venir pour créer une véritable base industrielle et technologique de défense européenne, il semblerait.

Oui Laurence, même s’il existe encore des dissensions sur la nature des dépenses, que les pays surendettés du Sud souhaitent plus européennes, à l’inverse des pays du Nord, tout est fait pour que les investissements technologiques et la commande publique participent de la construction d’une puissance militaire véritablement européenne.

Néanmoins, il y encore beaucoup de progrès pour que ce soit le cas, tant les réflexes nationaux persistent.

Comment précisément, Victor Warhem ?

Dans la commande publique tout d’abord, cruciale pour assurer au secteur de la défense de la demande à long-terme. Dans ce domaine, il faut savoir que bon nombre d’États Membres dépendent à l’extrême du matériel américain et qu’un changement de cap stratégique - s’il a lieu – ne se fera pas du jour au lendemain si les Américains n’étaient effectivement plus nos alliés, après une attaque contre le Groenland par exemple.

On pourrait donc s’attendre à ce que les Européens concernés fassent profil bas à l’heure actuelle. Mais le fait est que certains continuent bel et bien de vouloir renforcer le lien transatlantique malgré la situation. Ainsi, Boris Pistorius, le ministre de la Défense allemand, a bien confirmé que la Bundeswehr allait acheter les F-35 promis, alors qu’il aurait simplement pu botter en touche le temps de voir notamment comment évolue la situation en Ukraine. Je crois par ailleurs qu’on peut s’attendre à une belle négociation entre Merz et Trump sur la part du plan allemand de 500 milliards accordée au matériel américain.

Ceci interroge, en effet. Et en matière d’investissements donc ?

En matière d’investissements communs, autrement dit de programmes technologiques communs, les perspectives ne sont pour l’heure guère plus réjouissantes.

Faisons déjà un bref bilan de l’existant : hormis les succès de fusion européenne d’entreprises privées dans la défense - grosso modo KNDS pour les chars, MBDA pour les missiles, Airbus pour l’aviation militaire, les drones, les satellites et les hélicoptères -, les programmes technologiques militaires ou duaux communs significatifs en passe d’être un succès se comptent sur les doigts d’une main : le SCAF – la prochaine génération d’avions de combat – est de nouveau en route après des blocages politiques du côté allemand jusqu’en 2023, l’Euro drone devrait également être opérationnel en 2027, et Iris2, bien sûr, la constellation de satellites de télécommunications stratégiques dont j’ai déjà parlé ici, devrait, elle, être opérationnelle à l’horizon 2030.

Hormis cela, les vaches sont bien maigres ! Par exemple, MGCS, le char du futur, n’avance plus sur fond de rivalité industrielle franco-allemande. Et il est fort à parier que cela dure : par exemple, l’agence allemande pour l’innovation de rupture, SPRIN-D, vient de proposer la création d’une branche militaire, SPRIN-D.MIL, qui viendra compléter un paysage européen d’agences nationales pour l’innovation de rupture dans la défense - comme l’AID ou l’AMIAD en France – alors qu’il est plus que nécessaire d’anticiper en Européens les ruptures technologiques militaires.

On peut donc se réjouir que les Européens jouent de plus en plus la force par la technologie, mais pour gagner, il conviendrait à ce stade de laisser les Etats Unis de l’autre côté de l’Atlantique où ils pourront tranquillement faire preuve d’instabilité, d’acheter en commun les systèmes d’arme des uns et des autres en Europe, et surtout d'anticiper et d’investir ensemble dans l’avenir de notre sécurité à tous.

Un entretien réalisé par Laurence Aubron.