Euronomics sur euradio est une émission du Centre de Politique Européenne, think-tank spécialisé dans l’étude des problématiques réglementaires, économiques et technologiques européennes, dont Victor Warhem, économiste de formation, est le représentant en France.
Aujourd’hui, vous allez nous parler du Clean Industrial Deal, dont une version préliminaire a fuité dans les médias mercredi.
Absolument Laurence, alors qu’il doit être présenté le 26 février prochain par la Commission, un grand média européen a pu mettre la main sur ce document stratégique de 22 pages dédié une facilitation de la croissance industrielle en Europe des cleantechs, ces entreprises innovantes dédiées surtout à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce cadre, le Clean Industrial Deal annonce un paquet de projets législatifs européens dans plusieurs domaines clés.
Dans quels domaines, Victor Warhem ?
Tout d’abord, la Commission se focalise sur l’urgence numéro 1 : rendre l’industrie verte européenne plus compétitive, en baissant le coût de l’énergie, mais également en facilitant les aides et en réduisant le fardeau administratif. En effet, alors que la guerre en Ukraine a totalement disrupté le modèle énergétique européenne, notamment allemand, en raison de l’interruption des livraisons de la plupart des hydrocarbures russes, et que les Etats Unis de Biden ont mis en place l’Inflation Reduction Act – l’IRA – attirant à coup de subventions à hauteur de 400 milliards de dollars environ des cleantechs de par le monde, les industriels européens souffrent d’un déficit de compétitivité en raison d’une énergie chère ou un système d’incitations public (crédits d’impôt, subventions) moins intéressants qu’ailleurs. Par ailleurs, l’excès de bureaucratie semble également être un frein à la transition vers une industrie plus verte.
Dans ce cadre, le Clean Industrial Deal propose notamment de coordonner la baisse des taxes sur l’électricité dans les Etats Membres, de faciliter les investissements dans les cleantechs avec les fameux « contrats pour différence » qui assurent les investisseurs contre un prix fluctuant du carbone, et de réduire de manière transversale la charge administrative.
Il s’agit donc d’une sorte de complément au Green Deal de 2019 si je comprends bien, mais plus accès sur l’essor industriel et moins sur l’imposition de normes.
Et ça n’est pas tout : la stratégie reprend également l’idée présente dans le Net Zero Industry Act de 2023 – la réponse européenne initiale à l’IRA de Biden – de favoriser le « Made in Europe » dans la commande publique, en fixant un cap de 40% des achats publics en matière de cleantech dédiés à des produits européens.
Comme pour les questions de défense, où cette notion de « Made in Europe » est également promue, s’assurer que les Etats européens font preuve de « patriotisme européen » est clé pour les décennies qui arrivent – d’autant plus à l’heure où nos alliés occidentaux outre-Atlantique cherchent à nous nuire.
Ainsi, plus précisément, la Commission prévoit de réviser sa directive sur la commande publique en 2026 – cela fait un peu tard, mais soit – afin d’ajouter un critère de préférence européenne pour les achats publics dans tous les secteurs stratégiques. Il est même question d’étendre cette préférence à la commande privée.
L’Europe, continent le plus ouvert du monde, prend donc petit à petit la voie de la régionalisation de son modèle économique.
Alors que les Etats Unis et la Chine inondent leurs marchés cleantechs de subventions et de crédits d’impôts tout en les protégeant de l’offre étrangère, il est en effet temps que l’Europe cesse d’être naïve pour de bon.
À ce titre, il est également prévu de faciliter encore les aides d’Etat, notamment pour le photovoltaïque et l’éolien.
Mais, alors que les marchés mondiaux des cleantechs sont alimentés de produits presque tous subventionnés publiquement, il est fort à parier que la manne financière nouvellement mise à disposition des cleantechs européennes ne soit pas suffisante pour faire de l’Europe le leader mondial de la transition qu’elle devrait être.
Qu’entendez-vous par-là, Victor Warhem ?
J’entends que l’Europe produit actuellement environ 35% des besoins de la transition énergétique et écologique, alors que les Chinois se situent aux alentours de 30% et les Américains autour de 20%.
Nous avons donc un avantage clair dans ce secteur, notamment dans l’éolien offshore et l’efficience énergétique. Nous misons avant tout sur une industrie de qualité.
Pour autant, les Américains sont en train de progresser rapidement en raison de leur capacité à innover – à voir néanmoins si la politique de Trump changera quelque chose en la matière – et les Chinois sont loin devant dans le photovoltaïque, l’éolien terrestre ou les batteries lithium-ion.
Pourquoi ne pas prévoir ici en plus un programme de subventions « Made in Europe » dédié au renforcement de notre leadership mondial sur les marchés cleantechs où nous sommes en mesure de faire la différence à long-terme ?
Dans un secteur où les prix de marché mondiaux ne donnent aucun indice sur la compétitivité réelle des industries en raison de la quantité invraisemblable d’aides en tout genre, ce sujet mérite une réflexion plus approfondie.
Donc au final, le Clean Industrial Deal, c’est correct, mais peut beaucoup mieux faire.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.