À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L'État de droit c’est garantir que les gouvernants se conforment bien aux droits fondamentaux mais comment les obliger à agir ?
L’accès à la justice est un droit fondamental essentiel. On le voit bien dans les discussions au quotidien, en droit on y a tous accès à la justice mais souvent, on a peur de ne pas savoir s’y prendre, de ne pas avoir les moyens. En fait, la mise en œuvre de ce droit d’accès n’est pas évidente mais c’est surtout dû à une méconnaissance, par les individus, des dispositifs disponibles pour accéder à la justice.
C’est vrai que c’est décourageant toutes ces procédures mais comment motiver les citoyens à agir pour obtenir gain de cause ?
Ah mais c’est absolument indispensable d’essayer d’obtenir gain de cause ! Les associations et ONG sont un véritable atout ! Il s’agit là de marques indiscutables de l’État de droit. Plus précisément, l’idée n’est pas de garantir d’obtenir gain de cause mais d’avoir le droit d’essayer de l’obtenir. Et il ne faut pas en être découragé sans préjuger de l’issue.
Recourir au juge c’est une méthode pour les causes désespérées alors ?
Je dirais même que c’est la méthode la plus efficace ! on a déjà parlé du droit à manifester, à rendre visible sa cause auprès du grand public mais faire évoluer la législation et donc contraindre un dirigeant à se conformer à sa cause c’est faire surtout faire dire à une juge que nous nous trouvons face à un droit fondamental.
C’est comme ça qu’on va voir émerger de nouveaux droits fondamentaux ?
C’est exactement ce qui est en train de se passer pour les concepts émergents liés à l’urgence climatique. Depuis quelques années, il existe une doctrine qui met en avant un droit fondamental à un environnement sain.
Le raisonnement est assez simple : le droit fondamental à la sûreté impose aux pouvoirs publics de ne pas être mis en danger. L’autorité publique ne peut pas rester inactive face à un danger. C’est cela que ça veut dire.
Un environnement malsain met en danger les citoyens : le tout est de prouver que 1, l’environnement est malsain et 2, les pouvoirs publics sont inactifs face au danger.
Ces actions viennent doubler le plaidoyer des activistes que l’on voit dans les manifestations de rue ou dans leurs actions coup de poing alors ?
C’est cela, à grands renforts de raisonnement juridique doctrinal et de visibilité, on voit des citoyens qui attaquent leurs gouvernements en justice pour faire respecter leur droit à un environnement sain.
Le droit à respirer un air pur a été invoqué par neuf citoyens belges souffrant de problèmes respiratoires soutenus par une ONG. Ils demandent tout simplement aux dirigeants fédéral et régionaux de revoir les limites annuelles de pollution de l’air, sur la base des recommandations de l’OMS. Il existe des standards sur qualité de l’air il suffirait donc de les renforcer eu égard au caractère fondamental du droit à vivre dans un environnement sain. On va demander à l’État d’agir et de sanctionner les responsables si les seuils sont dépassés.
Et finalement, peu importe l’issue du procès, que l’État soit condamné ou pas, cela apporte une nouvelle visibilité, un nouveau débat, un nouveau droit fondamental qui va conquérir les cœurs et les esprits jusqu’à devenir quelque chose d’aussi normal que le principe d’égalité.
Chronique réalisée par Laurence Aubron.