À propos d’Elise Bernard : Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L'État de droit, c’est une notion que l’on comprend exigeante pour les États membres de l’UE, a minima pour les membres du Conseil de l’Europe, mais qu’en est-il des institutions de l’UE ?
Vaste question ! C’est exactement le problème posé par le scandale de corruption du « Qatargate » au Parlement européen.
Oui c’est vrai que cette histoire compromet gravement les efforts de l’Union pour obliger les gouvernements à répondre des violations de l’État de droit !
Tout à fait, on se trouve face à une impasse institutionnelle. C’est le serpent qui se mord la queue ! Les gouvernements européens qui n’entretiennent pas un État de droit exigeant, ouvrent la voie à ceux qui désirent mettre fin à la construction européenne. Et l’absence d’outil pour lutter efficacement contre la corruption au Parlement européen vient encore un peu élargir la voie vers une sérieuse remise en cause.
Mais le Parquet européen n’a pas été créé pour cela ?
Pas exactement, le scandale du Qatargate a permis quelques modifications de ses compétences, mais cela ne sera effectif que pour d’autres enquêtes.
Et en attendant, il n’y a pas d’enquête ?
Si il y a une enquête, peut-être que l’on entend pas beaucoup parler en France parce que cette enquête est menée par la justice belge. Le crime de corruption ayant été commis sur le territoire belge et qu’il n’y a pas de communautarisation en matière de droit pénal, l’État souverain qui a vu le crime doit s’en charger.
Et il s’en charge conformément à son droit et ses procédures.
Exactement. La Belgique a donc un juge d’instruction chargé de l’enquête. Il s’appelle Michel Claise d’ailleurs et sa nomination a pu être attaquée par un des eurodéputés incriminés, conformément au droit belge. Le temps que la procédure soit suivie, que la nomination soit bien validée, l’enquête peut reprendre.
Ah oui, pas de passe-droit, on respecte les procédures donc l’État de droit belge.
Exactement, le temps que les réformes procédurales et en termes de compétences soient mises en œuvre, ce juge d’instruction fait ce qu’il peut. C’est ce juge d’instruction qui a soulevé le fait que les opinions publiquement exprimées étaient initialement défavorables au Qatar, mais se modifient au moment où des mouvements d'argent suspects sont détectés.
Donc les eurodéputé·es incriminé·es peuvent mobiliser tous les moyens pour que l’instruction soit ralentie.
Exactement, tous les moyens de droit peuvent être utilisés, ils en ont le droit. Donc, si l’enquête traîne, c’est surtout parce que les accusés font tout pour que cela traîne.