Docteur en droit public, enseignante à Sciences-Po Aix et à l'ESSEC, Élise Bernard décrypte chaque semaine les traductions concrètes, dans notre actualité et notre quotidien, de ce grand principe fondamental européen qu’est l’État de droit. Ses analyses sont publiées sur la page Europe Info Hebdo.
L’État de droit c’est chercher l’équilibre entre des droits qui pourraient s’avérer contradictoires, alors comment comprendre l'état d'urgence contre la « vague migratoire » décidé par le gouvernement italien ?
C’est vrai que le cas italien est particulier. On a un taux de natalité en baisse spectaculaire. Le Ministère de l’Économie italien le reconnaît et estime même que si le nombre de migrants travaillant en Italie augmentait d'un tiers, par rapport à aujourd’hui, d'ici 2070 la dette publique pourrait diminuer de plus de 30 points de pourcentage. Et une baisse de 33 % de la population migrante entraînerait une augmentation de la dette de 60 points. Et c’est un ministre issu la Lega, parti d’extrême droite qui l’annonce. Rappelons que l’Italie reste de loin le pays le plus endetté d'Europe, après la Grèce.
Donc en Italie à l’heure actuelle, une étude du Ministère de l’économie explique que l’ augmentation du nombre de migrants se traduira par une stimulation de l'activité économique.
Oui, et cela provoque d’ailleurs une crise au sein même du gouvernement Meloni. A cette étude, le ministre de l’Agriculture affirme qu’il faut trouver des solutions afin d’inciter les Italiens à créer des familles et faire plus d’enfants car je cite « Nous ne pouvons pas céder à l'idée d'un remplacement ethnique. ». Évidemment, scandale et désaveu du gouvernement ont suivi.
Tout ceci n'est pas très clair. L’Italie a besoin de jeunesse, l’immigration peut être une réponse mais son gouvernement semble tout faire pour y mettre fin.
Tout à fait. C’est aussi pour cela qu’il faut prendre garde à l’instrumentalisation de ces discours relatifs à la migration. La migration, implique plusieurs éléments distincts qui donc doivent être réglés de manière distincte. Le 1e élément, c’est le flux migratoire. L’Italie est un pays méditerranéen d’arrivée : se pose donc la difficulté particulière de l’accueil d’urgence. Cela relève de la sécurité intérieure, l’État d’urgence est réputé prononcé pour garantir cette sécurité. Tous les États membres de l’UE ne sont pas égaux face à cette situation d’accueil d’urgence. La Grèce et l’Italie y font particulièrement face car les arrivées se font par voie terrestre et par voie maritime, depuis l’Asie et l’Afrique. La Pologne le découvre depuis un peu plus de 2 ans, par voie terrestre uniquement.
C’est pour cela que l’Italie réclame des actions au niveau de Bruxelles.
Voilà, G. Meloni, avec le premier ministre autrichien Nehammer en particulier, appellent Bruxelles à réorganiser la « gestion des flux qui tient compte de toutes les voies, y compris maritimes ».
Mais ce n’est pas déjà le cas avec Frontex ?
Si, mais j’avoue attendre des réclamations plus nettes pour analyser plus clairement la situation. Ce qu’il faut comprendre à l’heure actuelle avec l’Italie : c’est qu’elle a du mal avec les flux, en matière de sécurité et en ce qui concerne l’aide sociale d’urgence. La sécurité : on se situe sur de la compétence partagée entre UE et État membre. Le social, 2e volet de la migration, ce sont pour l’instant des politiques publiques propres à chaque État membre. Et plus précisément à chaque gouvernement.
Donc le gouvernement Meloni veut accueillir de la main d’œuvre immigrée et la régulariser.
On dirait. Mais surtout, pour un accompagnement social d’urgence, il faut augmenter les budgets en la matière, avant de pouvoir régulariser et ces personnes et leur permettre de travailler. C’est paradoxal avec son positionnement sur l’échiquier politique. C’est vraiment pour cela que j’attends les demandes précises qui devraient être formulées à Bruxelles.
Entretien réalisé par Laurence Aubron.