Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui
nous allons nous intéresser à la création d’espaces verts
urbains.
Exactement. Face à l’augmentation de la population en ville, la densification de l’urbanisation mais aussi bien souvent l’étalement des villes sur les sols, ce que l’on appelle l’artificialisation des sols, la solution proposée est : on va créer des parcs !
Pour créer des zones de respiration
C’est ça, mais aussi rafraichir l’air, remettre un peu de biodiversité dans nos vies, filtrer des eaux d’écoulement, stocker du carbone dans la biomasse et les sols de ces espaces.
Mais l’aménagement de ces espaces végétalisés nécessite de la terre. Actuellement la ressource utilisée est principalement une terre dite « végétale » issue du premier horizon de sols anciennement cultivés. Cette ressource est considérée comme non renouvelable et c’est, en France, environ 4,5 millions de tonnes de terre végétale consommées chaque année pour réaliser des plantations et l’aménagement d’espaces publics en ville.
Alors où trouve-t-on cette ressource, dans les terres de chantiers comme vous avez expliqué dans votre dernière chronique ?
En partie, mais le plan Zéro Artificialisation Nette (ZAN) devrait réduire de moitié le rythme de consommation des terres agricoles. La ressource en terre végétale qui je le rappelle n’est que le premier horizon, c’est-à-dire les premiers centimètres de sol de surface, va se raréfier. Les gisements sont aussi de plus en plus éloignés des villes. La terre « végétale » devient donc de plus en plus chère.
N’y a-t-il pas moyen d’avoir recours à des ressources fertiles renouvelables pour ces espaces verts ?
Des solutions sont envisagées. Ces solutions m’ont été soufflées par Lucile Mayeux avec qui j’ai écris cette chronique. Lucile était stagiaire ingénieur agro-environnement dans l’entreprise Terra Innova dont nous avons parlé précédemment sur les terres de chantiers. Lors de son stage, Lucile a montré qu’il était possible mettre en place une filière locale de valorisation de déblais de travaux. C’est-à-dire de reconstituer une terre végétale conforme à la norme Support de Culture NF U44-551, à partir de terres excavées locales.
Comment fait-on pour transformer ces déblais inertes en support de culture fertile ?
On peut utiliser des déchets organiques du milieu urbain par exemple : le compost de votre cuisine ou de déchets verts, d’élagage. Si ça semble simple à dire comme ça à la radio. Dans la réalité, c’est un peu plus compliqué.
Il faut de l’espace et du temps, deux notions parfois difficiles à réunir en tissu urbain dense ! Il faut donc disposer d’un foncier en ville sur lequel les aménageurs peuvent apporter des terres de déblais de qualité issues de chantiers de proximité pour limiter les impacts liés au transport des ressources. Il faut aussi caractériser ces terres pour leur propriété agronomique et vérifier l’absence de pollution.
Est-ce que Lucile vous a donné la recette pour transformer ces terres en substrat fertile ?
Il en existe plusieurs, car toutes les terres ne sont identiques et les amendements organiques non plus. On peut ajouter à ces mélanges des engrais verts mais surtout on peut semer des graines de plantes, des graminées, légumineuses ou crucifères qui s’adaptent au milieu difficile. Ces plantes vont favoriser la maturation de ces sols en favorisant l’activité biologique de ces terres végétales en devenir. Les temps de maturation peuvent durer de 6 à 24 mois. Les processus biologiques, favorisés par les ensemencements, permettent d’aboutir à un substrat fertile. Avec le temps, les caractéristiques agronomiques de ces mélanges se rapprochent d’une terre végétale. Les aménageurs disposent alors d’une ressource locale et issue du réemploi pour les aménagements des espaces verts urbains.
Cela semble une bonne idée mais est-ce déjà réalisé ?
Oui, ça commence, des collectivités et de jeunes entreprises comme Terra Innova dans laquelle a travaillé Lucile s’y mettent. La terre reste une ressource non renouvable, ces filières terriennes s’appuyant sur une logique d’économie circulaire en milieu urbain, permettent de préserver les sols agricoles et naturels tout en nous proposant des espaces de récréation, repos, et respiration en ville qui eux aussi sans sols n’existent pas.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.