Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui vous vouliez nous reparler de l’effet de la température sur les sols mais cette fois ci en haute montagne.
Oui Laurence, car comme beaucoup, j’ai entendu, tout l’hiver, que les stations de ski ont manqué de neige et que les glaciers fondaient.
Après la fonte des glaciers, de nouveaux sols se forment ou sont-ils déjà là ?
C’est exactement la question que j’ai posé à Jérôme Poulenard, Professeur à Chambéry à l’université Savoie Mont-Blanc, avec qui j’ai écrit cette chronique. Je me suis posée cette question car selon le WWF et le conservatoire d’espaces naturels de Haute Savoie, les étendues glacées des Alpes ont perdu 60% de leur surface depuis 1850. Ce qui représente 400 km2 potentiel pour de nouveaux sols tout de même.
Ne vous emballez pas trop quand même, car tout ne va pas se transformer en sol, si ?
Vous avez raison une partie de ces surfaces sera transformée en lacs d’altitudes, mais toutes ne seront pas des lacs. Sur les surfaces libérées il y a un siècle, on peut aujourd’hui observer des forêts d’épicea et donc dessous du sol ! La végétation colonise rapidement les surfaces, même à haute altitude. Pourtant quand le glacier se retire, il libère des surfaces rocheuses et des éboulis.
Et ça, si j’ai bien compris la chronique précédente, ce n’est pas du sol
Exact. Il manque de la vie et des matières organiques à ces matériaux minéraux pour faire un sol. Jérôme Poulenard a observé que sur ces surfaces a priori hostiles se développent des écosystèmes qui se complexifient avec le temps avec des bactéries, des champignons, des nématodes, des plantes, des collemboles jusqu’aux insectes volants en quelques dizaines d’années.
Et comment toute cette vie arrive ?
Cette vie vient en partie des bactéries et des micro algues mélangées à la poussière à la surface des glaciers. Puis le vent, le passage d’animaux, d’oiseaux, de randonneurs apportent aussi des graines, des œufs, plein de petites formes de vie.
En moins de 10 ans, on voit s’installer des plantes comme l’épilobe des moraines, une vivace qui pousse jusqu’à 2700 m d’altitude, ou encore du trèfle palissant, une légumineuse qui en symbiose avec une bactérie au niveau de ses racines capte l’azote de l’air et enrichit progressivement le milieu en azote. D’ailleurs, la plupart des plantes pionnières vivent en symbiose avec des champignons et forment des mycorhizes. Cette association plante-champignon permet aux racines des plantes d’explorer plus largement les substrats pauvres après la fonte de la glace et d’y capter un maximum de nutriments. Ces plantes, petit à petit, avec l’action de leurs racines et par leurs apports en matière organique vont progressivement modifier et enrichir leur substrat au départ très pauvre et minéral.
Et petit à petit former un sol.
Oui petit à petit… mais déjà 10 ans après la fonte, on peut observer quelques fleurs au-dessus et quelques nématodes en dessous. Nous avons un sol. Avec le temps, ce sol nouvellement formé s’approfondit et sa biodiversité se complexifie. Le nombre de taxons, d’espèces de bactéries, champignons, nématodes, collemboles augmentent avec le temps. Cette biodiversité s’enrichit d’autant plus rapidement que la température en été est clémente.
Pour peu vous seriez contente que les glaciers fondent.
Je n’irai pas jusque-là, mais je trouve assez fantastique de voir la vie s’installer sur des éboulis et créer du sol en quelques dizaines d’années seulement. En plus d’abriter une riche biodiversité, ces nouveaux sols stockent du carbone. Jérôme a ainsi estimé que 90 à 270 millions de tonnes de C peuvent être stockés dans les sols des marges glaciaires déglacés d’ici 2100. Je ne pense pas qu’il faille s’en réjouir mais une chose est sûre il faut protéger ces nouveaux écosystèmes, leur richesse biologique et leurs stocks de carbone. C’est le cas du Mont Blanc depuis 2020, malheureusement ce n’est pas le cas pour la moitié des glaciers mondiaux.
Si on veut garder un peu d’hiver, à défaut d’éviter la fonte des glaciers, protégeons au moins les sols de ces zones déglacées.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.