Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Bonjour Tiphaine. Avec quel sujet débute-t-on cette nouvelle saison à parler des sols ?
Un sujet d’actualité, inondation et artificialisation des sols ! Suite aux inondations dans la ville de Cannes après un orage violent, des interrogations sur les causes de ces inondations a pris place dans le débat public. Pour faire court est-ce la faute au changement climatique et à la violence de l’orage ou bien la faute à une mauvaise gestion de l’urbanisation de la commune ?
Alors qu’en pensez-vous ?
Pas facile de répondre sans s’attirer les foudres de la mairie de Cannes, car sans doute que l’urbanisation dans un contexte de changement climatique est en partie responsable. Mais peut-on reprocher à une commune de construire logements et infrastructures pour ses habitants ? Des programmes de dés artificialisation des sols sont en cours un peu partout et sans doute à Cannes, notamment dans les cours d’école ou sur certains parkings, des toitures, des anciens sites industriels mais est ce que ces efforts sont assez vastes en termes de surfaces, assez efficaces pour recueillir les trombes d’eau des orages méditerranéens ? Et on peut craindre que ces intenses épisodes pluvieux soient de moins en moins rares dans les prochaines années, car même celui de Cannes de la semaine dernière n’était pas si exceptionnel selon les météréologues.
Je vous pose une question et vous m’en posez deux !
En plus je ne vous ai pas posé la question difficile de la différence entre la désartificialisation et de la désimperméabilisation. Car il ne suffit pas de détruire un bâtiment, une route ou une dalle puis de dégager tous les gravats et fondations pour en faire un sol. Un sol digne de ce nom, avec je vous le rappelle les 5 éléments: des minéraux, de l’eau, de l’air, de la matière organique, et des êtres vivants.
Pour revenir au problème de l’artificialisation, si nous perdons certaines des fonctions des sols en les recouvrant de goudron ou de béton, nous perdons certains des services qu’ils nous rendent. Forcément. Des sols imperméabilisés, empêchent l’eau de s’infiltrer, accentue et accélère le ruissellement, avec les conséquences dont on a parlé sur les inondations. OK ça c’est clair. Ce n’est pas tout, car les sols ont également des capacités de filtration de l’eau que l’artificialisation va fortement limiter. Plus l’eau ruisselle longtemps, plus elle a le temps de se charger en polluants qui ne manquent pas dans les villes, sur les routes, les caniveaux et les trottoirs.
Donc non seulement on est inondé mais avec de l’eau sale
Avec l’imperméabilisation, le volume d’eau pluviale en ville peut fortement augmenter. Ces eaux sont collectées dans certaines communes avec les eaux usées qu’il convient donc de traiter avant de rejeter toute cette eau dans l’environnement. C’est bien, car on a vu que ces eaux pouvaient être polluées. Mais sans même parler d’inondation, ce volume d’eau à traiter peut-être très important. Dans le cas de pluies intenses, la capacité d’épuration des stations peut être saturée… et une partie de ce mélange, eaux usées eaux pluviales, ne sera peut-être pas traitée.
Alors il faut tout dé-bétonner ?
Pas facile. Car nombreux sont les territoires qui manquent de logements, le développement économique est aussi consommateur de foncier. La densification urbaine est un vrai sujet politique. Que veut-on ? de quoi avons-nous besoin ? les tours de logement ne font envie à personne, mais pour un même nombre de logements, que veut-on des logements un peu plus hauts pour laisser de l’espace au sol, justement pour le sol, ou des logements moins hauts mais plus denses ? est-ce que l’on se donne ou a-t-on les moyens, de recycler, réhabiliter des anciens bâtiments plutôt que de construire du neuf, souvent moins cher ? Un vrai sujet pluridisciplinaire aussi difficile que passionnant où les sciences du sol ont la encore leur place.
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.