Vous
nous aviez promis de nous parler d’une proposition de directive
cadre sur les sols, une nouvelle directive de la commission
européenne, il me semble ?
C’était bien ma promesse, j’ai pu la réaliser avec l’aide de Claire Chenu, Directrice de recherche à L’INRAe. Cette proposition de directive cadre sur les sols, publiée par la commission européenne le 5 juillet dernier, doit encore être votée par les parlementaires européens qui commencent ces jours-ci à en parler entre eux.
Elle était attendue ?
Très attendue car des tentatives précédentes avaient échoué. Nous en avions parlé l’an dernier, toucher à la terre des propriétaires terriens est très sensible. Difficile de leur dire, la terre que vous possédez ne vous appartient pas entièrement. Vous avez des droits certes mais également des devoirs. Les actions, la gestion que vous avez de votre sol a des conséquences pour vous, mais peut en avoir aussi sur vos voisins, sur ceux qui hériteront de votre terre et sans doute sur leurs voisins également. Ces actions peuvent être bonnes ou mauvaises, là n’est pas la question. La question, très politique, est : jusqu’où peut aller le droit de propriété, le sol est-il un bien privé comme un autre. Et la directive cadre sur les sols butait sur ce problème depuis 10 ans.
Et comment s’en sont-ils sortis ?
Ben… ils ont soigneusement évité le problème. L’intitulé et le cadre se focalisent sur la surveillance des sols. La commission européenne fait le constat que 60 à 70 % des sols européens sont dégradés. Des sols en mauvais état fournissent moins de services et conduisent à des pertes de productivité, une dégradation des eaux qui les traversent, moins d’eau retenue, plus d’érosion… La commission estime que le cout de cette dégradation est de l’ordre de 50 milliards d’euros par an. Elle estime que ne rien faire coute bien plus cher que les investissements nécessaires pour prévenir, ralentir, voir renverser la tendance de la dégradation.
C’est bien, ça, ce sont de bons arguments pour protéger les sols
Oui très bien, et le document ajoute que les pays européens manquent de cadre pour mettre en œuvre toutes les réflexions, programme, recherche européenne sur les sols et qu’il faut se doter d’un vrai cadre de surveillance et d’évaluation des sols pour qu’en 2050, 100 % des sols européens soient sains.
Attendez, il me manque quelque chose pour vous suivre. Comment arrive-t-on à 100% de sols sains ?
C’est vrai, que je suis allée un peu vite, mais le document aussi passe un peu vite sur les mesures pour gérer durablement les sols. La proposition énonce des principes de gestion durable mais ne propose ni ne bannit aucune pratique. Ce seront aux Etats de le faire dans les 5 ans après le vote de la directive. De plus, il n’y a pas d’objectifs intermédiaires entre aujourd’hui où 60 à 70 % des sols sont dégradés et l’objectif de 2050 : 100 % de sols sains.
Est-ce que les sites pollués sont aussi pris en compte ?
Oui bien sûr. Même si les contaminations visées focalisent surtout les métaux lourds et en oublient certaines comme les pollutions diffuses, l’identification des contaminations et des risques encourus est un objectif clair de la directive.
Oui c’est ce que vous disiez, c’est surtout de la surveillance.
C’est l’angle qu’a pris la commission européenne pour éviter les blocages. Cette directive demande aux Etats, si les Etats la vote bien sûr, de mettre en place une surveillance des sols mais ne les obligent pas spécifiquement à protéger leurs sols. En France, cette surveillance est déjà réalisée, mais beaucoup de pays européens n’ont rien en la matière. Cette surveillance ne concerne pas que les sites contaminés mais tous les sols. La directive cadre cette surveillance en proposant toute une batterie d’indicateurs, dont des indicateurs obligatoires pour tous les états. Ces indicateurs, mesurés tous les 5 ans, visent à surveiller certaines menaces qui pèsent sur les sols telles que l’érosion, la compaction, la perte en matière organique, la salinisation, l’acidification, la réduction de la capacité de rétention en eau des sols. Mais aussi l’artificialisation des sols ou leur imperméabilisation.
Ces indicateurs sont accompagnés de valeurs critiques à ne pas dépasser selon les types de sol, leur usage, le climat…. Cette surveillance ne peut donc pas être identique dans toutes les régions européennes très hétérogènes entre elles en termes de sol, de climat et d’usage des sols. Une organisation par région est alors proposée.
C’est bien compliqué
Oui c’est bien compliqué… mais peu contraignant pour les propriétaires terriens. La proposition préconise mais n’oblige pas sauf de surveiller. Ce sont aux Etats de définir la gestion durable des sols. La souveraineté de leur sol est préservée. Les sols seront surveillés à défaut d’être spécifiquement protégés.
Déçue ?
Un peu forcément… Mais c’est une première étape. Pour préserver et améliorer nos sols, il faut effectivement mieux les connaitre et les surveiller. C’est quand même un cadre clair sur les sols, perfectible c’est vrai, mais c’est un bon début. On va mieux connaître nos sols, leur évolution et on va tenter d’arriver à ces 100 % de sols sains que nous promet la commission européenne ! Tenter est mieux que de ronchonner. Et surtout il faut que cette proposition de directive soit votée, sinon on ne reverra un projet sur la protection des sols que dans 10 ans seulement !
En savoir plus : Le réseau national d’expertise scientifique et technique sur les sols (https://rnest.fr/proposition-directive-sol-2023/) et le programme européen EJP (https://ejpsoil.eu/science-to-policy).
Un journal réalisé par Laurence Aubron.