Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Comment
allez-vous ce matin ?
Très bien merci. C’est vrai qu’à la sortie de l’hiver, on parle souvent microbes, maladie et antibiotiques. On pourrait parler aussi sols et premiers semis dans le jardin, mais peu de conversation combinent ces 2 sujets.
Mais que voulez-vous nous dire ?
Antibiotiques et sol sont rarement utilisés ensemble dans une conversation comme je viens de le faire. Et pourtant, savez-vous qu’un microbiologiste du sol a reçu le prix Nobel de médecine en 1952 ?
Ah oui et pour quelle découverte ?
Le véritable auteur de la découverte entre lui et son étudiant de l’époque est controversé. Toujours est-il que la découverte de la streptomycine, le premier antibiotique efficace contre la tuberculose a bien été découvert dans le sol.
Comment ça ?
C’est une histoire assez romanesque. Selman Waksman était un Juif ukrainien qui petit adorait l’odeur de la terre des grandes plaines céréalières d’à côté de chez lui après la pluie.
Ah oui, moi aussi, j’aime beaucoup cette bonne odeur de terre mouillée !
Cette odeur vient de l’activité d’actinomycètes, des bactéries à l’allure de champignon avec leur filaments et leur nom en « mycète » . Selman Waksman a voulu savoir d’où venait cette odeur. Il est devenu microbiologiste du sol. Il était spécialiste des actinomycètes dans une école d’agriculture d’une université aux États-Unis où il avait émigré au début du XXe siècle.
C’était l’époque de la découverte des premiers antibiotiques, non ?
Oui tout à fait, en étudiant et cultivant les microorganismes du sol, dont les actinomycètes, il avait remarqué que les colonies ne se mélangeaient généralement pas. Ces microorganismes produisaient des molécules pour limiter le développement de bactéries voisines et compétitrices. Il avait aussi réussi à isoler ces molécules antibactériennes. Waksman se demande alors si certaines d’entre elles pourraient être utiles en médecine. Surtout que dans les années 40, les scientifiques découvrent progressivement comment se servir de molécules antibactériennes ou antibiotiques pour nous soigner de certaines maladies. C’est ainsi, que l’on développe les traitements à base de pénicilline, découverte en 1928, pour soigner nombre d’infections, mais pas de la tuberculose.
Et la streptomycine ?
L’histoire raconte qu’un morceau de terre avec des filaments bizarres à sa surface et coincé dans le gosier d’un poulet intrigua un vétérinaire. Il l’envoya au laboratoire de Selman Waksman réputé pour ses connaissances sur les moisissures des sols. L’étudiant de Selman Waksman isola un actinomycète de ce morceau de terre, le cultiva et isola un antibiotique qui contrecarrait le développement d’un ensemble de bactéries dont celle responsable de la tuberculose. Après de nombreux essais cliniques, très innovants à l’époque, pour mettre au point les modalités de traitement, la streptomycine est mise sur le marché sauvant des millions de personnes dans le monde malades de la tuberculose.
Et un microbiologiste du sol, amoureux de l’odeur de la terre des grandes plaines de son enfance devient prix Nobel de médecine !
Eh oui être terrien·ne c’est aussi découvrir de nouvelles molécules.
Est-ce que de nos jours, de telles recherches sur de potentiels antibiotiques issus des sols existent encore ?
Oui, pour rechercher des antibiotiques, mais également pour surveiller l’apparition d’antibiorésistance. Les micro organismes sont très nombreux dans les sols jusqu’à 1 milliard de bactérie par gramme de sol et près de 2-3 mètres d’hyphes mycéliens, c’est-à-dire des filaments de champignons, dans ce même gramme de sol. La diversité génétique de ces organismes est extraordinaire et diffère selon les milieux. La potentialité de trouver de nouveaux antibiotiques est donc probable, mais largement sous exploitée. L’été dernier une opération de sciences participatives appelée « science à la pelle » proposait ainsi d’envoyer un échantillon de sol à l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, afin de sensibiliser le grand public et de diversifier les recherches d’antibiotiques dans les sols.
Encore faut il trouver les bonnes molécules dans cette diversité ! Et vous disiez également qu’il fallait surveiller l’apparition de bactéries antibiorésistantes dans les sols ?
En effet, car si la diversité bactérienne des sols est vaste, il existe aussi dans les sols des bactéries résistantes aux antibiotiques connus et utilisés aujourd’hui en médecine. L’apport de résidus d’antibiotiques non dégradés présents dans des déchets d’élevage ou des eaux mal traitées sur les sols par exemple peut contribuer à favoriser le développement de bactéries résistantes dans l’environnement.
Les études en microbiologie des sols de Selman Waksman du XXe siècle sont toujours d’actualité.
Eh oui, même si les techniques ont largement évolué depuis celles de Waksman, parce que maintenant on sait qu’une grande majorité des bactéries et des champignons du sol ne sont pas cultivables sur boite de pétri et surtout on a à notre disposition des analyses génétiques bien plus puissantes pour étudier la diversité de ces microorganismes. La richesse de nos sols n’a pas fini de nous surprendre !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.