"Plongée dans les océans", la chronique hebdomadaire qui vous transporte dans la faune et flore marine présentée par Sakina-Dorothée Ayata, maîtresse de conférences en écologie marine à Sorbonne Université.
Sakina, cette semaine, vous allez nous parler des cyanobactéries marines. Qu’est-ce que c’est exactement ?
Et bien vous avez déjà entendu parler des bactéries, ces petits être vivants formés d’une seule cellule sont la structure est relativement simple, puisque leur matériel génétique n’est pas enfermé dans un noyau, comme c’est le cas pour nos cellules, mais flotte dans la cellule. Les bactéries se reproduisent relativement vite et elles se nourrissent de matière organique. Certaines peuvent être mauvaises pour la santé et nous rendre malade, d’autres sont nos alliées, comme celles qui vivent dans notre ventre et nous aident à digérer. Les bactéries sont classiquement des décomposeurs et elles contribuent ainsi au cycle de la matière en la recyclant.
Et les cyanobactéries alors ?
Les cyanobactéries, quant à elles, sont des bactéries capables de réaliser la photosynthèse, comme les plantes : elles utilisent l’énergie lumineuse pour convertir le CO2 (le dioxyde de carbone) en matière vivante (en sucre). Cyanobactérie signifie bactérie bleue, car certains de leurs pigments photosynthétiques (qui leur servent à capter l’énergie lumineuse) sont de couleur bleu. Mais la couleur des cyanobactéries varie du bleu-vert au rouge-violet. La cyanobactérie marine la plus abondante de la planète s’appelle Synechococcus et mesure moins de 1 micromètre (0,001 mm).
Les cyanobactéries ne vivent que dans la mer ?
Non, car même si elles sont surtout aquatiques, on les trouve aussi bien en eau douce, que dans les océans. Comme les autres bactéries, leur croissance peut être très rapide dès que les conditions deviennent favorables. Les cyanobactéries peuvent ainsi proliférer de manière massive en quelques jours, c’est ce qu’on appelle des efflorescences ou des blooms. Et ceci peut être problématique.
Pourquoi ?
Tout d’abord car une prolifération massive de cyanobactéries peut impacter le fonctionnement des écosystèmes et en particulier conduire à une désoxygénation très rapide de l’eau, ce qui peut entraîner une mortalité massive de poissons et d’invertébrés. Mais aussi car certaines cyanobactéries produisent des toxines, appelées cyanotoxines, qui peuvent présenter un risque pour la santé humaine ou des même des animaux. C’est d’ailleurs pour cela que certaines zones de baignades sont parfois interdites l’été : boire de l’eau contaminée ou s’y baigner peut entrainer des problèmes de santé. Dans ces cas-là, les autorités peuvent interdire certains usages, comme la baignade, le nautisme ou la pêche.
Est-ce que les cyanobactéries peuvent être mortelles en cas d’inhalation ou l’ingestion accidentelles ?
Oui, mais c’est extrêmement rare. En France, il n’y a jamais eu, à ce jour, d’intoxication humaine létale due aux cyanotoxines des cyanobactéries. C’est d’ailleurs pour cela qu’il y a des contrôles sanitaires des eaux de baignade et des eaux destinées à la consommation humaine. Cependant, plusieurs intoxications mortelles aux cyanotoxines ont été rapportées depuis 2005 pour des chiens.
A quoi sont dû ces efflorescences toxiques ?
Elles sont souvent liées à des apports élevés en nutriments, dus à des processus de mélange vertical, qui apportent des nutriments en surface, ou alors via les activités humaines comme l’apport d’engrais ou l’épandage. Dans les eaux saumâtres de la mer Baltique, la cyanobactérie toxique Nodularia spumigena se développe souvent à la suite d'un apport en phosphore.
Sakina, j’ai cru comprendre que les cyanobactérie marines pouvaient aussi être bénéfiques pour nous.
En effet, elles constituent un important réservoir de médicaments potentiels !
Les molécules produites par les cyanobactéries sont étudiées pour leurs propriétés anticancéreuses, antiparasitaires, neurotoxiques ou anti-inflammatoires. Dans les océans, elles contribuent aussi à l’apport d’azote dans l’écosystème.
C’est-à-dire ?
Et bien certaines cyanobactéries marines sont capables de transformer le diazote, qui est le gaz le plus abondant dans notre atmosphère, et que l’on retrouve à l’état dissous dans les océans, et de le convertir en azote utilisable par les autres microalgues. On dit qu’elles sont « diazotrophes ». Ce n’est que dans les années 90 qu’ont été découvertes ces cyanobactéries, initialement à partir de leurs gènes et sans que l’on ne les ait jamais vues auparavant ! On a ainsi découvert, de manière très surprenante, que dans de grandes zones océaniques très pauvres en nutriments, et donc un peu « désertiques » (on parle de zone « oligotrophes »), des microorganismes inconnus possédaient une enzyme, appelée nitrogénase (ou nifH), capable de transformer le diazote en ammoniaque.
Ceci concerne toute les cyanobactéries marines ?
Non, seulement celles qui possèdent ce gène. Mais il en existe de deux types : les cyanobactéries unicellulaires, appelées UCYN, qui peuvent vivre libre dans le plancton ou en symbiose avec certaines espèces de phytoplancton comme les diatomées, et les cyanobactéries qui vivent en colonies, comme Trichodesmium qui forme des filaments. Le genre Trichodesmium est ainsi présent aux basses et moyennes latitudes de l'Atlantique, du Pacifique et de l'océan Indien, et il est considéré comme un contributeur majeur à l'apport d'azote dans ces systèmes pauvres en nutriments. L’étude de ces organismes hors du commun et essentiels au bon fonctionnement des écosystèmes océaniques se poursuit, et les cyanobactéries ne cessent de révéler leurs secrets !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.