Les sols, merveilles invisibles

L'activité biologique des sols

L'activité biologique des sols

Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.

Bonjour quel sujet allons-nous aborder sur les sols aujourd’hui ?

Aujourd’hui je vais revenir sur la dernière chronique d’Edith sur l’agroécologie. Vous vous souvenez, Edith nous a dit qu’un des piliers de l’agro-écologie était l’activité biologique des sols.

Effectivement les pratiques agroécologiques s’appuient et doivent maintenir voire favoriser, je pense, l’activité biologique du sol.

C’est ça ces pratiques agricoles comptent dessus pour remplacer l’utilisation systématique des intrants, comme les pesticides et surtout comme les engrais minéraux de synthèse. Redevenir terrien·ne, c’est comprendre ces équilibres biologiques dans les sols pour s’affranchir de la chimie. Car l’activité biologique est avec les apports organiques au cœur du fonctionnement du sol. L’ensemble de ces activités recyclent la matière organique en éléments minéraux indispensables à la croissance des plantes. L’agro-écologie tend à restaurer ces équilibres pour améliorer le fonctionnement du sol et ainsi la production agricole.

Est-ce qu’on peut donc se passer des engrais minéraux ?

Comme toujours à ce genre de question, la réponse va être mitigée. Oui et non, c’est une question de vitesse, de maîtrise et de durabilité.

L’alimentation des plantes est minérale. Les plantes fabriquent leur matière organique grâce à la photosynthèse et puisent dans le sol leurs éléments minéraux. Depuis le milieu du XIX siècle et les travaux d’un chimiste allemand Justus von Liebig, plus connu comme l’inventeur du bouillon cube, nous savons que les facteurs limitants la croissance des plantes sont des éléments minéraux comme l’azote ou le phosphore. L’apport d’éléments minéraux semble donc nécessaire et suffisant pour stimuler la croissance des plantes. Les sols ne sont plus qu’un support. Les engrais minéraux sont immédiatement disponibles pour les plantes. Un peu comme les vitamines ou les compléments alimentaires du·de la pharmacien·ne, j’en ai besoin, j’en prends, elles me font immédiatement du bien.

Et c’est ainsi que la fertilisation organique autrefois pratiquée est petit à petit remplacée par la chimie.

Et oui, et ça marche. L’apport d’engrais minéraux a augmenté de façon considérable les rendements ! La fertilisation organique, elle, repose sur le recyclage des MO par l’activité biologique du sol. Les processus sont bien plus longs. Les résidus de récolte, les fumiers, les composts, enfin tout types d’amendements organiques apportés au sol vont être consommés par différentes communautés d’organismes qui au bout du compte vont libérer progressivement dans le sol, les nutriments minéraux, comme l’azote et le phosphore que le sac d’engrais aurait apporté en quelques minutes en dose suffisante, voire même un peu plus...

Alors même en matière de fertilisation il semble urgent d’attendre.

Oui car s’il est vrai que les engrais minéraux apportent une solution à court terme, ils ne sont pas une solution durable dans le temps. Sans renouvellement d’apport organique, les activités biologiques vont ralentir, la structure du sol sera moindre, des phénomènes d’érosion vont apparaître. Le fonctionnement du sol va se dégrader progressivement mais sûrement. Une application mélangeant un apport minéral et organique devrait permettre de trouver le bon équilibre entre disponibilité des éléments et durabilité du système. Ceux·celles qui souhaitent s’appuyer plus sur la nature et revenir à une culture plus agroécologique voire biologique doivent être patient·es et peut-être renoncer à une partie des rendements, mais ils font l’économie de l’achat des engrais.

Ils ont aussi d’autres contraintes non ?

Effectivement, la fertilisation toute organique sans apports de la chimie reposant sur l’activité biologique du sol, reste difficile. Il faut que ces ressources organiques soient disponibles et la gestion de ces matières demandent généralement plus de main d’œuvre que la manutention des engrais minéraux. Ces apports peuvent être très variés. Ce peut être des apports de MO mortes, des mulchs de résidus de culture, des fumiers, composts. Ce peut être des apports de MO vivantes avec des plantes de couverture entre les cultures ou des associations végétales comme l’agroforesterie. Il ne faut pas croire que se passer des engrais minéraux et revenir à la fertilisation organique soit un retour en arrière.

C’est que je vois, ce ne doit pas être facile de choisir son type de fertilisation organique selon le contexte dans lequel on est !

Non pas du tout. La gestion organique demande du temps, de l’attention et de la technicité. Ce n’est pas pour rien que l’agriculture bio, appelée en anglais « organic farming » car elle s’appuie majoritairement sur une fertilisation organique, est plus coûteuse. Redevenir terrien·ne et raisonner sa fertilisation pour préserver nos sols et notre alimentation est nécessaire et difficile à adapter dans les nombreux environnements physiques, économiques et culturels de la planète. On n’a pas fini d’en parler !

Entretien réalisé par Cécile Dauguet.