Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Vous me disiez-vous vous êtes fait voler votre vélo.
Oui une fois de plus ! mais rien d’exceptionnel malheureusement. Pour me réconforter, j’espère que l’augmentation du nombre de vélo volés est le signe du développement de l’usage du cycle et peut être le signe d’une baisse des petits déplacements en voiture. L’objectif, notre objectif à tous est bien de réduire ou du moins d’empêcher la concentration de CO2 dans l’atmosphère de s’envoler.
Et les sols font partie des solutions pour atteindre cet objectif ?
Bien sûr ! les sols constituent un énorme réservoir de carbone, plus de 2000 milliard de tonne de carbone, trois fois plus que toute la végétation réunie. Ce réservoir interagit avec l’atmosphère et est en grande majorité sous forme de matière organique. On en a déjà parlé.
Oui le carbone de l’atmosphère est prélevé par les plantes par la photosynthèse. A leur mort, le carbone des plantes est stocké dans le sol plus ou moins longtemps.
C’est ça. Les sols sous certaines conditions d’usage peuvent ainsi constituer des puits de carbone, avec en guise de pompe les végétaux. Si on veut maintenir, voire enrichir les sols en carbone, en matière organique, il faut favoriser la biomasse végétale et son retour au sol à sa mort. Certaines pratiques agricoles le permettent. C’est un peu comme le vélo, ce n’est pas très cher à mettre en place mais cela demande quand même de l’investissement, des efforts réguliers à maintenir sur le long terme, de nombreux convaincus pour que ces efforts individuels profitent au collectif, se mesurent et se voient sur le bilan global. C’est efficace,
mais pas si facile
Non pas si facile. Alors il existe bien d’autres solutions qui dans l’actualité reprenne de la voie ces derniers temps. Les solutions technologiques.
C’est-à-dire ?
Vous avez sans doute entendu parler de la capture et du stockage de CO2. A la COP 28 en novembre dernier ou au début du mois lors du dernier G7. Lors de ce G7, un accord a été signé pour une fermeture d’ici 2035 des centrales à charbon qui n’auraient pas de dispositif de captage de CO2. Des accords ont été aussi signés entre des pays d’Europe du Nord, dont la Suède, le Danemark et surtout la Norvège sur les transports transfrontaliers du CO2. Une coopération européenne pour soutenir le développement de cette filière se met en place. L’idée globalement de ces solutions technologiques est de récupérer le CO2 de l’atmosphère, pour l’instant surtout là où il est concentré, c’est-à-dire à la sortie des industries productrices de CO2, telles que les centrales à charbon, ou les cimenteries, le transporter vers des zones de stockage par exemple dans d’anciens gisement d’hydrocarbure en mer, d’où l’importance de la Norvège dans cette filière.
Il existe plusieurs variantes dans ces solutions technologiques. Soit tout le CO2 capté est transporté et stocké, soit une partie est réutilisée à des fins industriels avant son transport et son stockage. Certains proposent d’utiliser l’énergie de la biomasse végétale qui a pompé le CO2 atmosphérique et de capter une partie du CO2 lié à l’utilisation de cette énergie.
Que pensez vous de ces solutions ?
L’utilisation des terres à des fins énergétiques n’est en soit pas une mauvaise idée. On appelle parfois cette solution agriculture du carbone ou carbon farming. Mais cela pose de nombreuses questions : quelles surfaces et quelles ressources y consacrer, au détriment de quels autres usages, production alimentaire, de fibres et avec quelles gestions agricoles ou forestières. Capter le CO2 de l’industrie du charbon ou du ciment, je ne suis pas spécialiste, difficile de répondre. Un rapport de l’ADEME estime que le potentiel de stockage est de 20 à 30 millions de tonnes de CO2 par an en France pour un cout de 100 à 150 euros la tonne de CO2 stockée. Il est intéressant de constater pour la France, que ces potentiels de réduction du CO2 atm. sont du même ordre de grandeur que ceux estimés par l’INRAe pour l’agriculture, mais avec des couts globalement plus faibles. Les actions proposées en agriculture sont très variées. Il y a des actions qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre (pas uniquement du CO2), par exemple avec la gestion de l’élevage ou de la fertilisation azotée, et des actions favorisant le stockage de carbone dans les biomasses et les sols avec la réduction du labour, l’introduction de plantes de couvertures, ou la plantation de haies. Les couts sont donc très différents selon les actions. Mais sur les 32 millions de tonnes de CO2 évitées par an, 28 millions le seraient pour un cout inférieur à 50 euros et 16 millions environ seraient liés à la gestion des sols. Les chiffres de l’INRAe sur l’agriculture sont comme ceux de l’ADEME sur la capture de CO2 sur les sites industriels sont des estimations avec des incertitudes. La grosse différence est que les changements de pratiques agricoles demandent l’adhésion de beaucoup plus d’acteurs.
Mais les sols restent une solution !
Oui, surtout qu’il reste une solution technologique liée au sol, dont je vous parlerai une prochaine fois : l’altération de poudre de roche ajoutée aux sols agricoles… Ce qu’il faut retenir c’est que oui la gestion des sols fait définitivement partie des solutions dans la lutte contre le changement climatique. Il ne faut pas dénigrer ces solutions qui peuvent sembler trop simples, car pas technologiques. Plus naturelles et moins couteuses, elles ne sont pas pour autant miraculeuses, c’est vrai, des incertitudes subsistent en terme de quantité, de pérennité. Mais elles apportent de nombreux co bénéfices, biodiversité, paysage, qualité de l’air. Tout est à peser dans la balance des choix, des investissements que la société veut soutenir. Il faut au même titre que les solutions technologiques, continuer de parler et de soutenir collectivement les bonnes pratiques et usages des sols.
Un entretien réalisé avec Laurence Aubron