Dans ces chroniques, euradio vous propose de creuser et d'observer tout ce que les sols ont à nous offrir. Avec Tiphaine Chevallier, chercheuse à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD).
Aujourd’hui vous faites de l’introspection en public et vous vous demandez si vous êtes pédologue c’est ça ?
C’est bien ça Laurence. Je suis un forum de discussion qui a récemment échangé sur les termes de pédologie et de pédologue. Je me suis sentie concernée, mais sans être sûre si je l’étais vraiment.
Tiphaine, c’est sans doute intéressant, mais je ne comprends pas de quoi on parle.
Tout est parti de là. Car force est de constater que si les enjeux liés aux sols sont de plus en plus connus, le terme de pédologue reste complètement inconnu et les pédologues sont eux une espèce en voie de disparition. Le pédologue est le scientifique expert en pédologie. Une discipline qui ne s’intéresse pas aux pieds, ni aux enfants, mais aux sols.
Une sorte de géologue quoi !
Ben non… les sols sont bien souvent le résultat de l’altération de roches, mais ils ne sont pas des roches. Ils sont la fine couche à l’interface entre les roches et l’atmosphère. Ils sont poreux contiennent, de l’air, de l’eau, de la matière organique, des êtes vivants. Ils peuvent être cultivés, plantés, semés, naturels, érodés. Bref ce ne sont pas des roches.
Je vous sens un peu énervée.
Non et ce n’est pas que je n’aime pas les géologues, mais je me demande toujours pourquoi leur discipline est si bien connue du grand public alors que la pédologie est complètement inconnue. Pourtant les enjeux liés à la protection des sols sont bien plus discutés qu’avant. Par exemple avec la directive cadre sur les sols ou la loi zéro artificialisation nette. Certes tout le monde n’est pas encore convaincu, mais les sols y sont pris en compte et pas uniquement en termes de surface d’aménagement. Malgré tout ça, personne ne sait ce qu’est un pédologue.
Donc un pédologue est un spécialiste des sols. C’est si grave que ça que le public ne connaisse pas le mot ?
Pas si grave si la société continue de connaître la diversité de ses sols et leurs fonctionnements. Le problème vient de la disparition des spécialistes des sols, et si le nom du métier n’existe pas, difficile de faire rêver des jeunes scientifiques, de créer des postes, de soutenir des filières en pédologie. Ce qui est paradoxal, c’est que dans le même temps les spécialités sur les sols se diversifient. Aujourd’hui on parle d’écologue des sols, de microbiologistes des sols, de biogéochimistes. Mes collègues écologues des sols ne se définiront jamais comme pédologue. Pourtant leur spécialité concerne bien les sols.
Alors ?
Alors on en revient à ma fameuse question : suis-je un pédologue ?
Et vous avez la réponse ?
Un vrai pédologue sait choisir où il va ouvrir le sol, pour l’observer, pour examiner ses constituants. De cette observation il saura vous raconter son histoire, pourquoi il est là dans ce paysage, comment il peut évoluer selon l’occupation et l’usage que les hommes auront de lui. Je ne sais pas faire ça. C’est un savoir-faire qui se perd. Peu de scientifiques savent encore décrire un profil de sol, expliquer son évolution et son fonctionnement dans le paysage ; puis lui donner un nom. Car les sols ne sont pas tous pareils, ils sont classés avec des noms, un peu comme les plantes en botanique. D’ailleurs la pédologie est une discipline ancienne, issue des sciences naturalistes, tout comme la botanique.
A-t-on vraiment besoin de vrais pédologues, est ce que les faux comme vous, des spécialistes des sols quand même, ne sont pas suffisants ?
Je ne crois pas. On a besoin de savoir nommer et connaitre le sol pour comprendre, expliquer des analyses plus précises. Savoir appréhender la diversité des sols d’un territoire avec des sondages, des fosses pédologiques reste essentielle pour valider des cartes, des modélisations statistiques ; pour savoir ce que l’on a sous nos pieds. Maintenant que les sols sont un peu plus visibles dans le débat public, l’enjeu est aujourd’hui de faire rêver des enfants avec le métier de pédologue. Vaste défi !
Un entretien réalisé par Laurence Aubron.
