Une semaine sur deux sur euradio, Tiphaine Chevallier, directrice de recherche à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), cherche à effectuer un rappel à la terre qui se trouve sous nos pieds, sous le bitume, dans l'optique de renouer les liens forts que nous entretenions avec cette dernière.
Vous vouliez nous parler « eau » aujourd’hui.
Oui, car si les ressources en eau reçoivent toute la lumière de l’actualité, les sols devraient en recevoir une partie.
Le sol est très souvent le milieu intermédiaire entre les eaux de pluies et les nappes. Le sol stocke de l’eau et régule ainsi le régime des eaux superficielles et celui des eaux souterraines. Les quantités d’eau stockées dépendent de l’épaisseur et de nature du sol et sont localisées dans la porosité du sol.
La porosité d’un sol représente 30 à 60 % du volume total du sol.
C’est-à-dire ?
Environ la moitié du volume d’un sol est constitué d’air ou d’eau. L’autre moitié est constituée de particules minérales. Ces particules sont classées selon leur taille. Il y a bien sûr des cailloux + - gros, puis les sables de tailles comprises entre 50 microns à 2 mm, puis les limons et enfin les argiles qui ne sont pas plus grosses que 2 microns. La proportion de ces éléments minéraux, sables, limons et argile est la texture du sol. En touchant, malaxant, écrasant un peu de sol humide dans ses mains, on peut sentir cette texture plus ou moins sableuse, limoneuse ou argileuse. Les sables grattouillent, les limons et les argiles permettent de former un boudin qui se tient plus ou moins bien.
On s’éloigne du sujet de l’eau non ?
Pas tout à fait, car cette texture joue un rôle déterminant sur la porosité et sur la capacité d’un sol à retenir l’eau.
L’eau qui s’infiltre dans le sol peut partir rapidement dans les eaux souterraines et ne pas profiter aux plantes.
Ah oui comme l’arrosage des pots de fleurs qui part direct dans la soucoupe.
C’est ça. Cette eau qui ne fait que passer, est peu utile pour les plantes. Surtout qu’il n’y a pas toujours de « soucoupe » dans un sol ou alors très profondément et inaccessible pour les racines. Ce que l’on appelle réserve en eau utile pour les plantes est la capacité du sol à retenir l’eau. La taille des pores est ici essentielle. Plus la taille est petite et plus l’eau est retenue fortement. Par exemple, pour siroter une grenadine à l’eau et si vous avez le temps, essayer de prendre une paille de tout petit diamètre… Il va vous falloir plus de force pour aspirer la grenadine. Ainsi l’eau contenue dans des pores très petits et mal connectés entre eux ne sera pas disponible pour les plantes, impossible à absorber. La grosse porosité, ou macroporosité, au contraire ne retiendra rien du tout.
Ainsi, les sols sableux avec une porosité faiblement capable de retenir l’eau ont de faibles réserves utiles, contrairement aux sols limoneux. Les sols argileux eux retiennent bien l’eau, mais de porosité très fines, ils fournissent proportionnellement moins d’eau aux plantes.
OK, mais on ne peut pas faire grand-chose pour changer la texture d’un sol.
Non bien sûr en agriculture, il faut souvent faire avec ce qu’on a. Mais on peut quand même améliorer la structure des sols et favoriser l’infiltration, la circulation et la rétention de l’eau. Par exemple, l’apport de matière organique permet une meilleure rétention de l’eau, les couverts végétaux en hiver maintiennent une vie souterraine active et entretiennent une structure du sol qui facilite la circulation et la rétention en eau dans le sol. En été on peut limiter l’évaporation par du paillage ou choisir des cultures dont la croissance végétale se situe aux périodes de l’année mieux pourvues en eau, au printemps par exemple. Bon comme d’habitude, c’est plus facile à dire qu’à faire…
Mais les sols ne se réduisent pas à de simples réservoirs d’eau ?
Je vois Laurence, que mes chroniques commencent à faire effet, vous devenez une bonne terrienne ! Les sols sont aussi des bassines, mais bien plus encore ! Favoriser la présence d’eau dans les sols, bénéficient également aux nombreux êtres vivants qu’ils contiennent. Certains comme les nématodes et les protistes s’y déplacent et nagent dans cette eau. Tous s’y alimentent, les plantes via leurs racines, mais aussi les petits animaux et les microorganismes. L’eau du sol est appelée solution du sol car, elle contient tout un tas de nutriments.
On parle parfois du sol comme un épurateur, c’est aussi ici que ça se passe ?
Oui, car la solution du sol est l’endroit où toutes les interactions biologiques et physico chimiques ont lieu. Dissolution, transformation, déposition, dégradation s’y déroulent et sont orchestrées par les flux d’eau. Certains polluants peuvent ainsi y être dégradés par les microorganismes du sol ou adsorbés sur des particules minérales ou organiques, ou encore être entraînés vers les eaux souterraines. Pour ça, il faut que l’eau s’infiltre dans les sols, sinon elle ruisselle et érode la surface du sol. L’érosion est d’ailleurs une des principales menaces de dégradation des sols. Mais on en parlera une autre fois.
En-tout-cas, si on parle qualité des eaux, ressource en eau, utilisation de l’eau, on parle donc indirectement des sols.
Oui indirectement, mais ce serait bien d’en parler plus directement. Car gérer l’eau, c’est aussi gérer les sols, leur fonction réservoir et épuratrice qui dépendent de leurs occupations et de leurs usages. Etre terrien, terrienne est d’avoir conscience de ces liens intimes qu’entretiennent les ressources dont nous avons besoin. Et si l’eau est la vie, le sol aussi !
Entretien réalisé par Laurence Aubron.