Je suis tombé sur lui au théâtre, à l’entracte, et sans un bonjour, il m’a lancé : « Ton Europe, y en a marre ! ». Paul et moi nous connaissons depuis le lycée. Il n’a jamais donné dans la nuance mais là, il était vraiment tout prêt à boxer le député européen que je suis car « si vous n’êtes même capables d’aller sauver ces gens à la frontière polonaise, mais à quoi servez-vous ? ».
Trois minutes plus tard, nous étions l’attraction du buffet, une pièce dans la pièce, car tout le monde m’a entendu répondre, beaucoup trop fort : « Ah oui ? Parce que sans Union européenne la France, l’Allemagne ou l’Italie aurait déjà envoyé des troupes, n’est-ce pas ? Nous serions déjà intervenus en Pologne ? Sans que les Polonais nous l’aient demandé ? Nous aurions envahi ce pays pour ouvrir sa frontière ? Enfin ! Réfléchis deux secondes avant d’accuser « l’Europe » de tout et du reste ».
Là, je l’avais vraiment fâché. « Mais qui te parle d’invasion, m’a-t-il rétorqué ? On devrait leur parachuter des vivres, des tentes, des couvertures, des médicaments. Ce n’est pas la mer à boire, que je sache ! – Mais non, Paul, pas du tout : pénétrer dans l’espace aérien bélarusse, car je te rappelle qu’ils sont côté bélarusse, ce n’est rien, rien qu’un acte de guerre contre un pays qui a des accords de Défense avec la Russie. – Et voilà ! Vous ne pouvez rien faire et vous ne ferez donc rien. L’Union ne sert à rien et tu viens de le démontrer. – Sans l’Union, Paul nous n’aurions pas pu imposer à la Turquie, à la Syrie et aux compagnies aériennes, y compris à la compagnie nationale bélarusse, de cesser de se prêter à l’acheminement de ces malheureux vers la frontière polonaise. Sans l’Union et les rapports de forces économiques qu’elle peut créer, nous aurions été désarmés face à cette nouvelle forme de guerre que Vladimir Poutine a lancée contre nous par Loukachenko interposé. Sans l’Union, le régime russe serait la force dominante du continent Europe et tu n’aurais pas aimé, rassure-moi, vivre à l’ombre d’une telle dictature ».
Je mourais d’envie de lui dire que j’aimais beaucoup ses films mais que les relations internationales n’étaient pas son fort. Je cherchais une vacherie, bien tournée, bien blessante, mais Paul a su me calmer à temps : « Ecoute, Bernard : je sais que c’est compliqué mais si l’Europe n’a pas encore trouvé le moyen d’aller sortir ces gens de leur enfer, autant renoncer à cette utopie, autant ne plus croire que nous aurions fait quelque progrès que ce soit depuis la Libération et admettre que les « valeurs européennes », nous sommes incapables de les défendre, même en Europe, même chez nous ».
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